Critique internationale - Sommaire
Les politiques climatiques menées aujourd’hui dans la plupart des pays industrialisés ou en développement, et les négociations internationales qui s’y rattachent, recèlent des enjeux scientifiques et politiques cruciaux pour l’avenir de nos sociétés. Sur la base de plusieurs enquêtes de terrain inédites et d’une réflexion approfondie collectivement, les auteurs de ce « thema » s’efforcent d’éclairer ce vaste champ d’action/inaction publique, d’expertises et de controverses. Situés au croisement de la sociologie de l’action publique, des relations internationales, des études européennes et des science studies, leurs travaux reviennent, avec un regard à la fois distancié et comparatif, sur certains des enjeux majeurs de la mise en politique du changement climatique à travers le monde.
Plan de l'article
- Des négociations internationales aux politiques nationales et locales
- Le changement climatique entre science et politique
- Analyser les politiques climatiques
À la fois question scientifique et problème politique, le changement climatique a engendré un système complexe d'arènes, d'institutions, d'experts et d'acteurs variés, qui tous se sont engagés dans un processus de gouvernance mondiale pour tenter de trouver des solutions. Dès lors, comment expliquer que ce processus ait eu, en termes de réductions des émissions de gaz à effet de serre, des résultats si médiocres ? Pour répondre à cette question, nous nous concentrons sur le cadrage du problème climatique, tel qu’il a été conçu, appréhendé et incarné par les négociations. Nous passons en revue plusieurs éléments qui le caractérisent : le paradigme de pollution, le globalisme, la stratégie top-down de « partage du fardeau », les mécanismes de marché et de compensation, les interactions particulières entre science et politique, qui impliquent divers modèles d'expertise et suscitent des attentes contradictoires, et, enfin, le thème de l'adaptation dont l’ascension importante sur l'agenda de la gouvernance onusienne est liée aux reconfigurations de la géopolitique du climat. L'échec de la Conférence de Copenhague (2009), construite comme un moment décisif où tout allait se jouer pour le climat à l'échelle planétaire, sanctionne ce cadrage, et devrait conduire à repenser l'ordre de gouvernementalité du problème climatique, tâche pour laquelle nous avançons ici quelques propositions et éléments d'analyse.
La stratégie européenne de leadership dans les politiques climatiques internationales est fondée sur deux éléments : des objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et un marché de carbone européen (ETS) pour réaliser ces réductions. Revenir sur l’histoire de l’adoption de l’ETS au début des années 2000 permet d’élucider un paradoxe, puisque l’adoption très rapide de cet instrument contraste avec l’attitude des institutions communautaires pendant les années 1990, l’Europe portant alors un projet d’« écotaxe » et rejetant le recours au marché de carbone et à d’autres « mécanismes flexibles ». Trois facteurs ont façonné la nouvelle orientation des politiques climatiques européennes : le mouvement apparu dans les années 1970 de critique de la régulation environnementale, jugée inefficace et trop rigide par des économistes et des juristes qui lui préféraient des instruments basés sur le
Les prévisions relatives au changement climatique ont conduit l’Union européenne à mettre en place en 2008 le « Paquet énergie-climat » pour augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et ainsi réduire les émissions de gaz à effet de serre. À la suite de cela, la France a lancé un appel d’offre CRÉ visant à réunir autour d’EDF un ensemble de projets industriels de production d’électricité par cogénération, c'est-à-dire de production conjointe de chaleur et d’électricité à partir de biomasse. Or, loin de se limiter à une valorisation industrielle des sous-produits forestiers, une telle politique aboutit à une mise sous tension des approvisionnements en bois et met en question les modèles sylvicoles actuels. Cette nouvelle stratégie énergétique implique de redéfinir des relations stabilisées en amont au sein d’une filière qui apparaît comme un réseau d’acteurs interdépendants autour de la ressource bois. Nous portons ici la focale sur l’industrie papetière et sur la manière dont elle a problématisé la question du bois-énergie et du changement climatique aux niveaux européen, national et infranational, pour apparaître comme un acteur incontournable de la valorisation du bois-énergie.
En quelques décennies, le changement climatique s’est affirmé comme un objet de recherche central pour la communauté scientifique et comme une question sociale et politique de premier plan. Deux modes d’action dominants, relayés par les travaux du GIEC, ont fait office de réponse institutionnelle : l’atténuation, d’une part, l’adaptation, d’autre part. Cette seconde réponse s’est imposée comme une voie politique potentielle, en empruntant l’argument d’un impératif de survie de l’humanité et en adoptant la forme d’un vaste programme normatif. En nous appuyant sur une approche comparative, nous proposons d’interroger les politiques d’adaptation au changement climatique en tant que cadre émergent structurant d’une action publique globale, transversale et multiniveaux. Pour ce faire, nous analysons le processus d’institutionnalisation convergent des politiques d’adaptation au changement climatique en France et au Québec. Ensuite, nous considérons les enjeux de la diffusion de l’adaptation au changement climatique dans les politiques territoriales de gestion des risques et de gouvernance des ressources en eau. Il ressort finalement que les nouvelles exigences qu’impose l’adaptation entrent en contradiction avec les intérêts et les temporalités plus courtes qui prévalent encore dans les activités locales de gestion.
Pour analyser la construction des politiques dédiées à la lutte contre le changement climatique à une échelle régionale, nous avons choisi d’étudier le cas du développement de l'éolien, du bois-énergie et du solaire en Midi-Pyrénées. Plus précisément, nous étudions les interactions entre acteurs publics, associations locales et experts en énergies renouvelables, la façon dont s'institutionnalise cette interface et les implications de ce processus en termes d'apprentissage des acteurs impliqués. Théoriquement, nous cherchons à éclairer les approches néo-institutionnalistes et celles de la sociologie des sciences. En nous appuyant sur le cadre d’analyse des « arrangements politiques », nous démontrons que trois des dimensions qui caractérisent l'arrangement politique des énergies renouvelables ont progressivement été modifiées – les coalitions entres les acteurs, la répartition des ressources, le cadre juridique –, et que ce changement a entraîné la modification d'une quatrième dimension, à savoir le discours dominant. Finalement, même si les interactions entre experts et associations locales peuvent être déterminantes dans la phase initiale de la construction des politiques énergétiques, les acteurs publics parviennent progressivement à maîtriser la mise en œuvre de ces dernières.
Le « changement climatique » est l'une des priorités environnementales affichées par les acteurs de la coopération et du développement. Les Territoires palestiniens occupés font, quant à eux, partie des entités qui reçoivent l'aide internationale la plus importante. Dans la mesure où la question du « changement climatique » a émergé en partie sous l'impulsion du PNUD, la dépendance de l'Autorité palestinienne vis-à-vis de l'aide internationale a contribué au cadrage de ce problème public émergent, dont la construction est ancrée dans le contexte du conflit israélo-palestinien et de la demande de reconnaissance de l’État palestinien au niveau international. Dans les arènes internationales dédiées au « changement climatique », l'Autorité palestinienne présente d’ailleurs cette question en évoquant les injustices politiques et climatiques. Il convient donc d’étudier, d’une part, ce que la construction du problème climatique fait à l'Autorité palestinienne, d’autre part, ce que l'Autorité palestinienne fait à la construction du problème climatique.
À propos de Sans distinction de race ? Une analyse critique du concept de race et de ses effets pratiques de Magali Bessone (Paris, Vrin, 2013, 240 pages)
Sophie Houdart, L’universel à vue d’œil, Paris, Éditions Petra, 2013,280 pages.
Thomas Medvetz. Think Tanks in America? Chicago, The University of Chicago Press, 2012,XIV-324 pages.
Vasiliki P. Neofotistos. The Risk of War : Everyday Sociality in the Republic of Macedonia. Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2012,206 pages.