Critique internationale - Sommaire
Dans le cadre de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « financiarisation de l’économie », les pratiques monétaires des ménages constituent un objet d’étude privilégié. Chercher à comprendre les relations des particuliers avec les institutions financières aussi bien au « Nord » qu’au « Sud » nous amène à remettre en cause des distinctions trop rapides entre économies formelle et informelle ainsi que l’évolutionnisme qui les sous-tend. De fait, l’introduction de produits financiers dans les pays du « Sud » contemporain n’est pas l’équivalent tardif de la bancarisation européenne des années 1950 et 1960. La comparaison permet ici de souligner l’extrême rapidité des changements auxquels sont confrontées certaines populations et de montrer que la finance des particuliers ne peut se comprendre qu’en lien avec les modèles productifs et les modes de protection sociale dans lesquels ils prennent place.
Aucun résumé
Entre 2001 et 2003, plus de la moitié des provinces argentines ont émis leurs propres monnaies, lesquelles ont coexisté avec la monnaie nationale (le peso) sur leurs territoires respectifs. Fondée sur une étude de cas, l’analyse proposée ici aborde les effets de cette multiplication des monnaies sur les usages quotidiens et les représentations sociales de l’argent en Argentine. À partir de l’examen détaillé des pratiques monétaires, il s’agit de considérer les modalités pratiques de la coexistence de diverses monnaies, tout en offrant des éléments nécessaires à une réflexion empirique fondée sur les processus de socialisation économique qui, dans chaque contexte historique et géographique, donnent forme à des pratiques socialement diffusées de compte et de paiement. Nous décrivons d’abord les pratiques monétaires quotidiennes de la population pendant la période où les monnaies provinciales ont circulé, puis analysons les relations entre les diverses monnaies en circulation et, en même temps, les liens sociaux qui les ont produites tout en étant transformés par elles, et enfin, rendons compte des processus de socialisation économique qui constituent à la fois la cause et le résultat de la manière dont se met en place la pluralité monétaire.
Fondée sur un travail d’ethnographie en Inde et au Mexique, cette étude s’interroge sur la nature de la richesse dans les opérations financières quotidiennes de deux femmes. La richesse n’est pas seulement affaire de revenus monétaires réels ou de ressources quantifiables possédées par une personne ou une famille, elle est également liée à la façon dont certaines ressources matérielles et symboliques sont déployées et dotées de sens dans un contexte culturel donné. Au-delà de ce qu’on qualifie habituellement de « capital », ce qui compte dans l’acquisition de la richesse, c’est le processus par lequel les gens font travailler ce capital à leur profit (la « capitalisation »). Or ce résultat exige de « jongler » en permanence, c’est-à-dire de mettre en œuvre des mécanismes d’accession à la richesse comportant une succession ininterrompue d’opérations risquées où sont combinées, articulées et parfois remplacées l’une par l’autre différentes formes de capital, qui n’acquièrent de valeur que par leur circulation continue et leur entrelacement avec d’autres formes.
Le propos ici est de montrer, à partir d’une enquête ethnographique au long cours, comment des immigrants sénégalais, inscrits dans plusieurs univers de sens et d’appartenance, en viennent à développer des relations financières parfois conflictuelles et empreintes d’incompréhensions mutuelles avec les banques françaises. Il s’agit de lever le voile sur certains usages des institutions financières et sur certaines pratiques d’épargne dont l’intelligibilité dépasse les seules normes édictées dans le pays d’installation. Pour cela, il convient de déconstruire les idées reçues sur les ressources des migrants dont les positions de classe ne peuvent être définies à partir des seuls critères de la France.
Cette étude ethnographique présente les résultats d’une enquête menée dans deux banques italiennes sur l’influence des conseillers bancaires sur les ménages endettés. Le matériel a été collecté lors de 73 entretiens conduits auprès de détenteurs de prêts immobiliers à taux variables et de leurs conseillers bancaires. L’objectif est de décrire quels ont été les choix et les motivations des emprunteurs lorsque le montant de leurs mensualités de remboursement a grimpé en flèche au moment de la crise financière de 2008. Les éléments recueillis durant l’enquête montrent quelques-uns des moyens par lesquels les banques influencent les clients et reconfigurent les ressources disponibles pour les familles, ainsi que les instruments qu’elles peuvent utiliser, facteur nouveau et crucial d'inégalités dans la société contemporaine.
Dans la seconde moitié des années 1950, les banques commerciales suédoises ont offert aux employeurs de gérer leur service de paie et ouvert des comptes chèques aux employés et aux ouvriers. En une décennie, les salariés sont devenus des consommateurs de services financiers, et les établissements bancaires – jusque-là augustes institutions au service exclusif des entreprises et des riches particuliers –, des débitants de produits grand public. Les problèmes culturels soulevés par la bancarisation précoce de la société suédoise sont étudiés ici à travers le cas de ces « comptes chèques salariaux ». La fabrication et le contrôle de nouveaux sujets financiers ont été rendus possibles, au début, par des techniques et des discours enracinés dans des valeurs traditionnelles et des identités de classe, autrement dit collectives : l’identité de salarié a joué un rôle essentiel dans la financiarisation de la vie quotidienne. Les nouveaux sujets financiers ont été créés dans un mouvement de va-et-vient entre ces vieilles identités et les modèles imaginés pour les nouvelles. Le cas suédois révèle par ailleurs qu’il faut reculer de plusieurs années, par rapport aux évaluations habituelles, la datation de la financiarisation de la vie quotidienne en Europe.
S’il est vrai que c’est dans l’adversité qu’on reconnaît ses vrais amis, alors on ne peut imaginer meilleure situation que la succession de crises qui secouent l’Union européenne depuis le début des années 2000 pour apprécier la solidité, voire la sincérité du partenariat sino-européen. L’examen d’une série d’articles parus dans deux revues très proches du pouvoir central permet ici d’analyser la variété des perceptions chinoises de l’UE entre 2007 et 2013, et met notamment en lumière l’ambiguïté de la Chine vis-à-vis de son partenaire européen. Si, à la veille des crises, les analystes chinois s’inquiétaient encore de l’émergence d’une « Europe-puissance » capable de faire primer ses intérêts dans sa relation bilatérale avec la Chine, le vacillement de l’eurozone, largement attribué aux erreurs commises par les dirigeants européens, a été accueilli avec une relative sérénité. De fait, la fragilisation du modèle européen est vue avant tout dans la perspective d’une évolution des rapports de force qui profite politiquement et économiquement à la Chine
Cette étude porte sur l’architecture de sécurité en Méditerranée, zone caractérisée par une grande hétérogénéité : stabilité au Nord, instabilité au Sud, et suggère l’idée d’un régime de sécurité coopérative qui tiendrait compte de la diversité sous-régionale. Il s’agit, à partir d’approches néoréaliste, néolibérale et surtout constructiviste, d’analyser la pertinence de la sécurité coopérative pour l’espace méditerranéen, en faisant aussi appel à des concepts connexes tels que régime de sécurité et communauté de sécurité. Compte tenu d’une configuration hétérogène et d’une tension dans les préférences européennes entre impératifs stratégiques et considérations éthiques, comment s’opère le transfert de normes vers la rive méridionale ? La primauté des impératifs stratégiques, y compris dans le contexte des soulèvements arabes, fausse le processus de transfert de normes et d’externalisation. Toutefois, une sécurité coopérative est bel et bien en train de se mettre en place à travers des initiatives régionales et ce malgré la persistance de certains foyers de tensions dans la région.
Avec l’arrivée au pouvoir de Hugo Chávez le Venezuela a changé de régime politique et adopté dans la Constitution de 1999 le projet de « démocratie participative et protagonique » (protagónica). La centralité des Conseils communaux dans cette politique de la participation a permis de valoriser les « territoires quotidiens » comme niveau d’action et comme espaces investis par des acteurs précis, majoritairement des femmes. Il convient donc de se demander en quoi le « pouvoir populaire » du socialisme du XXIe siècle a quitté le registre de la citoyenneté de l’État libéral, créée par et pour les hommes, pour valoriser les compétences des femmes en politique et s’inspirer de leurs pratiques ? L’effondrement de la division État-société qui a accompagné la mise en place des Conseils communaux a permis de reconnaître le caractère politique de l’action locale des femmes. Cependant, il pose également la question de l’affiliation partisane dans l’engagement politique et, paradoxalement, de l’autodétermination du pouvoir qu’il permet.
Note croisée. Au chevet de la catastrophe : trois ouvrages collectifs sur le séisme de 2010 en Haïti
Fabien Théofilakis, Les prisonniers de guerre allemands. France, 1944-1949, Paris, Fayard, 2014, 762 pages
Carlos De La Torre, Cynthia J. Arnson (eds), Latin American Populism in the Twenty-First Century, Washington, D.C., Woodrow Wilson Center Press/Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2013, XII-398 pages.
Delphine Lecombe, « Nous sommes tous en faveur des victimes ». La diffusion de la justice transitionnelle en Colombie, Préface de Sandrine Lefranc Paris, Institut Universitaire Varenne, LGDJ, 2014, XVI-418 pages.
Grégoire Mallard, Fallout. Nuclear Diplomacy in an Age of Global Fracture, Chicago, The University of Chicago Press, 2015, XII-370 pages.