Critique internationale - Sommaire
Au Maroc, le pouvoir central utilise la technique de gouvernance des entreprises pour contrôler les élites économiques. L’analyse de réseaux et des entretiens semi-directifs sont mobilisés ici pour étudier les liens de coparticipation aux conseils d’administration – interlocking directorates – des entreprises cotées à la bourse de Casablanca. Cette méthode permet de montrer que la structure du capitalisme marocain se caractérise par une forte centralisation et par la montée en puissance de groupes qui se sont appuyés sur une stratégie de financiarisation. Il s’avère également que le pouvoir central s’appuie désormais sur le contrôle de deux investisseurs institutionnels qui apportent conseil et ressources financières aux élites économiques du pays.
Cet article analyse l’évolution des définitions du rôle d’une organisation patronale européenne et des acteurs devant la mettre en action. Il interroge les différentes légitimités à agir qui ont coexisté au sein de la confédération patronale européenne depuis 1952. Si le constat de l’hétérogénéité des intérêts représentés au sein de cette dernière n’est plus à faire, reste à comprendre l’évolution des acteurs investis dans son fonctionnement. L’approche historique révèle que certains représentants d’organisations nationales membres, qui ont longtemps occupé une place centrale, sont ensuite progressivement contestés par l’affirmation de professionnels européens de la représentation des intérêts patronaux, salariés de la confédération européenne. Loin de se succéder, ces légitimités à agir coexistent dans l’organisation. Archives et entretiens permettent d’historiciser les différentes formes que prend l’action de représentants nationaux au sein de la confédération patronale européenne. Ce faisant, l’article éclaire l’évolution des modalités d’imbrication des échelles nationale et européenne.
Lorsque la vague du printemps arabe a touché la Syrie en 2011, les élites politiques turques se sont trouvées face au dilemme suivant : soit continuer à entretenir une relation « rentable » avec un « oppresseur », soit soutenir le soulèvement syrien au risque de perdre un soutien diplomatique déterminant au Moyen-Orient. C’est la seconde option qui a été retenue. Pour réaliser ce changement radical et diaboliser le régime syrien dans le but de le renverser, le discours des élites politiques turques s’est élaboré autour de quatre types de stratégie argumentative : humanitaire, normative, sécuritaire et confessionnelle/historique. Le but était, tout d’abord, de justifier une rupture rapide avec le régime syrien auprès de l’opinion publique turque ; ensuite, de rendre légitime et nécessaire la lutte contre celui-ci aux niveaux national et international. La déconstruction de ces procédés discursifs permet de saisir non seulement la logique stratégique des décideurs turcs mais aussi l’aspect idéologique de la politique étrangère turque
Les Global International Relations comme une alternative au mainstream américain. Le cas des relations internationales en France Où se situent les internationalistes français au sein de la discipline mondiale ? Cet article démontre que les relations internationales en France ne sont ni indépendantes ni isolées ni à la périphérie des tendances mondiales. Les données du sondage TRIP réalisé en 2014 révèlent que si la discipline en France se différencie de, voire, par certains aspects, s’oppose au mainstream américain, elle n’en contribue pas moins, à sa façon, aux Global International Relations (GIR). Ces dernières sont à la fois globales et dotées d’un fort ancrage local et/ou national, puisqu’elles reposent sur des vecteurs linguistiques, théoriques, méthodologiques, épistémologiques et institutionnels alternatifs à ceux qui dominent la discipline aux États-Unis. C’est à cet espace alternatif pluraliste que se rattachent les relations internationales françaises, autant en termes théoriques et épistémologiques que par les conceptions et les pratiques disciplinaires propres aux internationalistes français. Cet article permet de donner une épaisseur nouvelle à la notion de GIR en témoignant du fait que des internationalistes du Nord peuvent également, à leur façon, y contribuer.
Les efforts de régulation des migrations internationales débouchent sur une architecture globale qui vise à impliquer les États d’origine et de transit. En tant que pays d’origine, de transit et de destination, le Maroc occupe une place particulière dans cette architecture, laquelle est abordée ici, à travers une approche foucaldienne de gouvernementalité, comme un dispositif cherchant à aligner les perceptions et les actions des États. Une telle approche permet de conceptualiser la régulation des migrations euro-méditerranéennes non pas comme une simple externalisation des exigences de l’Union européenne vers les pays tiers mais comme une gouvernementalité néolibérale. Celle-ci se manifeste par un dispositif de conduite des conduites dont la cartographie révèle une rationalité politique et des technologies gouvernementales qui ont pour finalité de constituer les États d’origine et de transit en partenaires responsables et autodisciplinés. Cependant, l’analyse du dispositif révèle également qu’il est instable et traversé de résistances et de contre-conduites mobilisées par les partenaires qu’il implique.
Pour la diplomatie française, la gestion de la crise syrienne a consisté à « tenir son rang ». L’expression désigne une ambition – imposer sa lecture d’un pays sur lequel elle a une expertise – mais aussi la revendication d’un rôle qui lui est disputé. Cet article vise à comprendre la fabrique de la politique étrangère française, ses continuités et ses contradictions. Il s’agit d’abord d’analyser l’arrière-plan dans lequel s’insère la séquence diplomatique de 2011-2015. Son inscription dans les soulèvements arabes entre en contradiction avec une longue tradition de coopération avec le régime syrien. Aussi les premiers mois de la révolution syrienne sont-ils marqués par des initiatives contradictoires du gouvernement français. L’actualisation se fait en mai 2011. L’idéntité de rôle que défend la France est alors celle d’un soutien à l’opposition syrienne, à sa structuturation et à sa reconnaissance sur la scène internationale. Or, face à la pression croissante de la lutte contre le terrorisme, l’impulsion s’essouffle, pour finalement laisser la place à un discours unique de condamnation du régime de Bachar al-Assad. La politique française se trouve isolée au milieu de ses alliés et mise en doute sur la scène interne. L’arbitrage entre des analyses divergentes ne parvient pas à faire émerger une politique cohérente, et l’intervention militaire russe de septembre 2015 consacre la marginalisation de la France sur ce dossier.
En 2014, des groupes se revendiquant de l’État islamique sont signalés dans plusieurs provinces afghanes, notamment dans l’Helmand et le long de la frontière afghano-pakistanaise. Comment comprendre l’émergence de cette organisation en Afghanistan ? S’agit-il de groupes dont l’affiliation est essentiellement symbolique ou assiste-t-on à une extension du mouvement irako-syrien ? À partir notamment d’entretiens réalisés à Kaboul et à Jalalabad en août et septembre 2015 avec des Afghans vivant ou ayant vécu dans les districts contrôlés par l’État islamique, nous proposons une première interprétation de ce phénomène. Il existe un terrain idéologique et social favorable à l’implantation au salafisme jihadiste en Afghanistan en raison de la transformation du champ religieux afghan consécutive à plus de trois décennies de guerre civile. De plus, les effets pervers des politiques afghane et pakistanaise dans les régions frontalières de l’est du pays ont permis l’implantation du mouvement sur la frontière afghane-pakistanaise. Au final, l’émergence de groupes se réclamant de l’État islamique en Afghanistan n’est pas le prolongement d’un modèle irakien, mais le signe d’une nouvelle révolution politique et sociale en marche.
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Gabriel Gatti, Surviving Forced Disappearance in Argentina and Uruguay : Identity and Meaning, New York, Palgrave Macmillan, 2014, XII-202 pages.
Élizabeth Picard, Liban-Syrie, intimes étrangers : un siècle d’interactions sociopolitiques, Arles, Sindbad, Actes Sud, 2016, 396 pages.
Alicia Fernández García, Mathieu Petithomme (dir.), Contester en Espagne : crise démocratique et mouvements sociaux, Paris, Éditions Demopolis, 2015, 332 pages.