Jean-Pierre Pagé (dir.)
Le lecteur ne s’étonnera pas de ce que, en 2014, le conflit en Ukraine soit au cœur des préoccupations des pays d'Europe centrale, orientale et de l'Eurasie, même si ses incidences sont diversement ressenties selon les régions considérées. Les pays d’Europe centrale et orientale sont divisés dans leur appréhension politique des événements, et leurs économies ne sont pas directement concernées par les retombées du conflit en Ukraine. On pouvait craindre en revanche qu’elles subissent l’atonie de la zone euro, et son incapacité à retrouver des taux de croissance stimulant la demande extérieure. Cependant – et c’est là une heureuse surprise –, plusieurs d’entre elles ont trouvé la parade en tirant parti des fonds que l’Union européenne leur destine généreusement pour relancer leur demande domestique. Et les effets positifs de cette tactique portent des fruits spectaculaires, d’autant qu’elle se combine avec les incidences de la faible hausse des prix sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Il y a là des enseignements à tirer pour la politique économique de l’Europe Occidentale ! Les pays de l’espace eurasiatique sont eux directement aux prises avec les développements du conflit ukrainien. Les incidences en sont multiples : les sanctions et contre-sanctions entre la Russie et l’Union européenne influent grandement sur les économies périphériques, de grands projets comme le gazoduc South Stream sont annulés, les relations des pays d’Asie centrale et du Caucase avec l’Union européenne sont observées avec vigilance par la Russie… La crise ukrainienne, c’est un fait, porte son ombre sur le grand projet de Vladimir Poutine d’instauration d’une Union économique eurasiatique.
Jean-Pierre Pagé (dir.)
Dans le Tableau de bord d’Europe centrale et orientale et d’Eurasie de 2009, nous écrivions que les pays de l’Europe centrale et orientale étaient « touchés mais pas coulés » par la crise mondiale. Quatre ans après, ce diagnostic est toujours valable. Si l’Union européenne reste pour eux un idéal et si l’adhésion à cette union demeure un projet clairement balisé pour les Etats qui n’en sont pas encore membres, celle-ci, engluée dans ses contradictions, paraît trop souvent absente, silencieuse. Aux populations qui lui demandent un meilleur niveau de vie et plus de justice sociale, elle répond par des exigences de réformes et d’austérité et alimente ainsi dangereusement leurs désenchantements. Savoir leur répondre, c’est le défi majeur de l’Union européenne aujourd’hui. Les pays de l’Eurasie, s’ils sont moins directement touchés par la crise de la zone euro et conservent, en conséquence, une croissance nettement plus élevée, ont d’autres préoccupations. Fortement sollicités par la Russie qui entend consolider sa zone d’influence avec la concrétisation de l’Union économique eurasiatique, ils sont aussi l’objet de l’attraction qu’exerce sur eux l’Union européenne – comme en témoignent éloquemment les évènements survenus en Ukraine – et, de plus en plus, la Chine. Cet espace est donc actuellement dans une recomposition qui conditionne les possibilités de son développement.
Jean-Pierre Pagé (dir.)
L’Europe centrale et orientale ne se porte globalement pas aussi mal qu’on l’écrit parfois et, d’une certaine manière, nettement mieux que l’Europe occidentale et que la zone euro en particulier. Avant la crise déjà, elle se singularisait par une croissance élevée, qui atteignait 4 % par an en 2008 pour les dix nouveaux membres de l’Union européenne (UE), contre 0,5 % pour les quinze pays de la zone euro. Son taux de chômage était inférieur d’environ 6,5 % à celui constaté dans ladite zone. En outre, dûment chapitrée par les institutions financières internationales, elle pouvait faire état d’une discipline exemplaire en matière de finances publiques, avec une dette qui ne dépassait pas 30 % du PIB pour la grande majorité des seize pays étudiés ici (voir les tableaux synthétiques à la fin de ce chapitre) et était très inférieure à ce niveau pour plusieurs d’entre eux. Quant au déficit des finances publiques, calculé à partir de la moyenne des seize pays, il était inférieur à 3 % du PIB. A tout cela s’ajoute la bonne tenue d’ensemble d’un jeune système bancaire qui, pourtant dépendant de maisons mères occidentales ayant subi le choc de la crise, ne s’est pas effondré malgré les sinistres avertissements des Cassandres : les pays baltes ont bénéficié de liens très forts avec les riches systèmes bancaires de l’Europe du Nord, les pays de l’Europe centrale (à l’exception de la Slovénie) ont su constituer au cours de la transition des banques saines, et les établissements de l’Europe du Sud-Est ont été, au moins momentanément, sauvés par l’action conjuguée des institutions financières internationales dans le cadre des deux « Initiatives de Vienne ».
Jean-Pierre Pagé
Pour sa quinzième édition (le premier volume est paru en 1997 !), le Tableau de Bord fait peau neuve et ouvre ses pages à des pays qu'il ignorait jusqu'à présent : signe des temps, alors que les pays d'Europe centrale et orientale sont tous intégrés dans l'Europe ou se préparent à l'être, c'est aux contrées plus orientales qu'il nous revient d'ouvrir nos pages. Cette innovation modifie la typologie et le format des chapitres dont nos lecteurs sont familiers. Le nouveau Tableau de bord consacre en effet un premier volume à l'Europe centrale, balkanique et balte et continue de suivre l'évolution des pays qui faisaient l'essentiel des précédentes éditions, regroupés dans des ensembles à dimension régionale : les pays de l'Europe centrale (incluant la Slovénie) sont traités ensemble, de même que les Etats baltes et les pays des Balkans ayant rejoint l'Union européenne (Bulgarie et Roumanie). Un quatrième chapitre est consacré aux « Balkans occidentaux », et traite non seulement de la Croatie et de la Serbie, mais aussi – et c'est une autre innovation importante – de tous les pays de cette région jusqu'alors non présentés dans ces pages, à savoir l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine et le Monténégro. Le Kosovo, pour lequel on ne dispose pas de statistiques appropriées pour ce travail, n'y figure pas. Le deuxième volume est consacré aux pays de l'ex-Union soviétique, regroupés sous le vocable d'Eurasie. On y trouve ainsi la Russie et l'Ukraine, comme dans les précédentes éditions, et les autres Etats regroupés en quatre chapitres : le Bélarus et la Moldavie, les trois pays du Caucase du Sud, le Kazakhstan, isolé en raison de la dimension de son économie, et les quatre autres pays de l'Asie centrale. Cette nouvelle structure entraîne également, on le comprendra, des modifications dans la présentation des tableaux d'indicateurs.
Jean-Pierre Pagé
Jean-Pierre Pagé
Jean-Pierre Pagé
Jean-Pierre Pagé
Jean-Pierre Pagé
Renéo Lukic et Jean-François Morel
Contrairement à la majorité des pays de l'Europe centrale et orientale qui ont connu une transition post-communiste pacifique, la Croatie a vécu la sienne en guerre. En effet, la guerre serbo-croate au printemps 1991 la força à se doter rapidement d'une armée pour défendre son territoire. La Croatie n'était à ce moment qu'une démocratie émergente et, après que son indépendance eut été reconnue par la Communauté Européenne le 15 janvier 1992, le contrôle de l'Armée croate (Hrvatska vojska, HV) échappa aux institutions parlementaires. La HV était dominée par le parti du président Franjo Tudjman (le HDZ) qui, pour avoir mené la Croatie à l'indépendance, bénéficiait d'une triple légitimité (politique, constitutionnelle et charismatique), semblable à celle de Tito sur l'Armée populaire yougoslave. Le régime civilo-militaire établi en Croatie après 1990 souffrait donc d'un déficit démocratique indéniable. A la mort de Franjo Tudjman en décembre 1999, la nouvelle majorité, issue des élections de janvier et février 2000 et menée par le président Stjepan Mesic, tenta d'établir un véritable contrôle démocratique des forces armées. Elle se heurta à l'opposition du ministère de la Défense et d'un certain nombre d'officiers toujours fidèles au HDZ. Aujourd'hui, l'établissement d'un régime civilo-militaire démocratique en Croatie reste encore le but à atteindre. Cependant, la Croatie semble faire quelques progrès en ce sens. En cherchant à adhérer à certaines organisations internationales (OTAN), ou en étant contrainte de coopérer avec d'autres (Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, TPIY), le pays doit maintenant intérioriser les normes régissant le contrôle civil et démocratique des forces armées. Sa participation au Partenariat pour la paix (PPP) et sa volonté d'adhérer au plus tôt au Membership Action Plan (MAP) de l'OTAN forcent la Croatie à progresser dans cette direction.
Marie-Paule Canapa
La fin du communisme en Yougoslavie a abouti à l'éclatement du pays et à la guerre. Mais les nouveaux Etats qui se sont séparés de la fédération sont eux-mêmes (sauf la Slovénie) pluriethniques. Comment géreront-ils ce problème ? Cette question, même si elle se pose d'abord en termes de droit des minorités, soulève un problème de démocratie en général. Les principes de base de l'organisation de la démocratie dans l'Etat "national" empêchent une pleine affirmation des membres des minorités en tant que citoyens définis d'abord, parfois presque exclusivement, comme membres de leur nation.
Peut-on envisager un autre mode d'appartenance à l'Etat, une participation plus effective à la prise de décisions ? Ce sont en fait des questions cruciales de la démocratie qui sont ici en cause (laïcité au sens large, décentralisation) ; c'est aussi le rôle du critère ethnique dans l'organisation politique et des perversions possibles qu'il induit (Bosnie-Herzégovine)