L'Inde et la Chine, frères ennemis. Jusqu'où ?
Le mois dernier les incursions de l’armée chinoise en territoire indien avait suscité une grande émotion à New Delhi, avant que la visite du nouveau Premier ministre chinois, dont les paroles chaleureuses furent jugées rassurantes, ne détende l’atmosphère. Les relations sino-indiennes sont ainsi en dents de scie depuis leur reprise officielle en 1988.
Les litiges frontaliers hérités de la guerre qui a opposé les deux pays en 1962 - et du caractère discutable des lignes de démarcation tracées par le colonisateur britannique au XIXème siècle - sont la première cause de tension. Le refus chinois de reconnaître l’Arunachal Pradesh - que Beijing appelle le «Petit Tibet » - comme faisant partie intégrante de l’Inde constitue à cet égard une pomme de discorde majeure.
Mais New Delhi est aussi fort préoccupée par la façon dont les chinois prennent position dans l’Océan indien en créant des ports à vocation commerciale mais susceptibles de servir de bases militaires. Après la Birmanie et le Pakistan, c’est maintenant au tour de Sri Lanka d’accueillir ainsi l’Empire du Milieu qui justifie cette démarche par la nécessaire sécurisation de ses approvisionnements pétroliers en provenance du Moyen Orient. L’Inde y voit une menace d’encerclement.
D’autant plus que le soutien sans faille de la Chine apporte à Islamabad depuis 30 ans ne faiblit pas, comme en témoigne la coproduction des premiers avions de chasse F-17 et bientôt de frégates, sans parler de la fourniture de centrales nucléaires dont l’Inde redoute qu’elles n’aient un usage militaire. A cela pourrait s’ajouter un conflit sur l’eau autour du fleuve Brahmapoutre. Les Chinois construisent en effet, en amont de l’arrivée du fleuve en Inde, une centrale hydroélectrique qui pourrait en modifier le débit.
A côté de ses facteurs de tension, les deux pays commercent ensemble plus que jamais. La Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Inde ce qui d’ailleurs se traduit par un énorme déficit (29 milliards de dollars en 2012) pour le plus petit des deux. Surtout, ces relations bilatérales compliquées n’empêchent pas les deux pays de se retrouver – et de converger – de plus en plus souvent dans les instances multilatérales, y compris au Conseil de sécurité de l’ONU lorsque les deux pays siègent ensemble. On se souvient ainsi de leurs refus commun d’intervenir en Syrie.
C’est que l’Inde et la Chine sont à l’unisson - voire donne le la - des BRICS dont l’agenda est largement dirigé contre l’Occident, notamment à l’OMC et dans la négociation climatique depuis Copenhague. Si l’Inde n’est donc pas près de rompre avec la Chine, elle va sans doute s’en protéger de plus en plus en s’armant et en resserrant ses liens avec les autres pays de la région que Beijing inquiète. Le Viet Nam, bien sûr, mais aussi le Japon. La récente visite de Man Mohan Singh à Abe - vent debout contre l’expansionnisme chinois - a d’ailleurs beaucoup irrité les chinois.