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Sciences sociales et psychanalyse

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À propos

(crédits : Shutterstock )

Guerre, guerres civiles, et latences 

En décidant d’adopter pour thème du séminaire de cette année le phénomène de la guerre, nous poursuivons l’effort des années précédentes d’identifier les voies permettant de conjuguer les apports réciproques et croisés des approches politistes, socio-historiques et psychanalytiques.  Ce faisant, il ne s’agit ni d’analyser directement les configurations historiques guerrières, ni d’étudier les violences comme de simples effets de la pulsion de destruction considérée comme un invariant anthropologique mais bien davantage d’explorer ce que la prise en considération du champ des affects et des pulsions apporte à l’analyse des phénomènes de violence guerrière.  

L’interrogation porte ainsi sur les catégories en usage dans ces différentes disciplines : la répétition et la re-présentation, l’oubli et le refoulement, la négation ou le déni, la haine, l’amour et la barbarie, la jouissance et l’indifférence, l’imaginaire, le fantasme et la surréalité, la latence et la mémoire et de manière ultime, sur la pertinence de la catégorie de pulsion de mort. 

Si les sciences sociales – celles du moins qui restent soucieuses de prendre en compte la subjectivité des acteurs sociaux -  et la psychanalyse ont en partage l’analyse des phénomènes individuels pour fonder leurs interprétations, elles ne s’adossent pas aux mêmes épistémologies. On pense notamment aux partisans d’une connaissance singularisante, qui se méfient fréquemment de l’usage des concepts, là où la psychanalyse fait fond sur un corpus conceptuel élaboré de longue date.

D’où le défi et la difficulté qui restent inscrits au cœur de la démarche de ce séminaire : comment est-il possible d’articuler ces différents plans, en évitant autant leur juxtaposition que leur hybridation incontrôlée.

Aux historiens, on est ainsi en droit de demander si, et comment, dans leur analyse des violences guerrières, haineuses ou génocidaires, ils prennent appui sur les théories universalisantes du type de celle qui travaillent les concepts d’inconscient, de répétition, du refoulement, de latence dans l’histoire. Comment traitent-ils des délires meurtriers ? Plus largement, aux spécialistes des sciences sociales, l’on voudrait demander comment traitent-ils de la part « insue » de leur objet d’analyse ? En effet, fréquemment leurs analyses font intervenir des fonctions ou des processus agissants à l’insu des acteurs sociaux. Quel rapport, cet « insu » entretient-il à l’inconscient, étant entendu que l’inconscient dynamique ne se réduit pas au non conscient. 

Prolongeant cette réflexion on peut s’interroger sur la place à conférer aux dimensions émotionnelles et/ou pulsionnelles qui semblent consubstantielles aux phénomènes de la guerre et de la haine de l’autre. Au-delà de Pierre Bourdieu qui assigne au sociologue la tâche d’assurer « le retour contrôlé du refoulé », comment est intégrée la dimension psychique du refoulement dans les analyses du déclenchement de la brutalité guerrière ? Si les paradigmes tels celui de la « frustration agression » sont sollicités dans l’explication, quelle est la part des frustrations, du déplaisir et des tensions insatisfaites dans le déclenchement des violences ? En particulier, que vaut aux yeux des historiens et des sociologues, la thèse freudienne exposée dans Malaise dans la culture et reprise par Elias, selon laquelle la croissance du progrès de la civilisation se paie du sacrifice du plaisir individuel, le tout pour des gains très relatifs, et au risque de l’approfondissement des inégalités sociales et in fine, de l’explosion générale dans la révolution et dans la guerre ?

 Partant, on est en droit de demander aux psychanalystes, d’éclairer la place qu’ils confèrent à la singularité des configurations sociales dans la mise en intelligibilité proposée. Comment pensent-ils la dimension collective de la dynamique de destruction ? Qu’est-ce qu’ils considèrent comme originaire ? Quelle statut acquiert « l’autre » – la famille, la communauté, le social, le politique - dans les résistances que la pulsion rencontre et auquel elle s’affronte? Plus largement, quelle articulation proposent-ils entre leur théorie du psychisme et l’institutionnel, en particulier les formes inédites de celui-ci qu’ils s’agisse du totalitarisme ou de la démocratie ? 

Au-delà, comment les psychanalystes enracinent leur « mythologie » (celle des pulsions selon les mots de Freud) dans la singularité politique des expériences qu’ils abordent, et dans ce type de réflexion, à quelles conditions la notion de pulsion de mort pourrait être opératoire ?  Comment les psychanalystes appréhendent-ils la dimension de l’État saisi comme une autorité en surplomb des pulsions individuelles, parfois les attisant et parfois les réprimant, pour la production d’un ordre où la satisfaction collective peut n’avoir rien ou très peu à voir avec le plaisir individuel.

Traversant ces différentes questions se pose pour chaque discipline la question de la « fictionalisation », partant, celle du langage : en fictionnant l’autre en ennemi absolu, l’hostilité radicale passe souvent par sa « déréalisation » (négationniste ou « inventionniste »). Aussi imaginaires ou délirantes qu’elles soient, ces représentations produisent des effets réels.  Plus largement, la violence s’introduit souvent sur les décombres des représentations partagées du réel. Rappelons que pour Hannah Arendt, « le sujet idéal du règne totalitaire n’est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu, mais l’homme pour qui la distinction entre fait et fiction (i.e. la réalité de l’expérience) et la distinction entre le vrai et le faux (i ;e ; les normes de la pensée) n’existent plus. »

Photo : Lev Radin, Washington, DC-January 6, 2021: Rioters clash with police trying to enter Capitol building through the front doors, Shutterstock

Programme

Cycle de séminaires 2025-2026

CERI, 28 rue des Saints-Pères, Paris 7e, Salle Pierre Hassner (1er étage) / 18h-20h  
 

13 octobre 2025
Denis Crouzet, professeur d’histoire émérite, université Paris-Sorbonne
Le massacre de la Saint-Barthélemy : une tuerie du désir ?

De la France du XVIe siècle au Moyen Orient d’aujourd’hui, certaines similitudes peuvent surgir sous le regard de l’historien. Les contemporains des guerres de Religion eurent en effet la conscience effrayée d’assister à des déchaînements de violences qu’ils qualifièrent d’« inouïes », de « barbares », d’«inhumaines» parce qu’elles s’attachaient à mutiler, brûler, marquer atrocement les corps, jusqu’au paroxysme d’un crime de masse parisien en août-septembre 1572. Un théâtre de la « cruauté » enseignait la puissance d’un Dieu de colère refusant toute présence parmi Son peuple de fidèles d’un autre Dieu. Et la violence unissait les gestes assassins à un désir de Dieu ne tolérant pas qu'un autre Dieu soit honoré.

Et aujourd’hui, force est de constater que le radicalisme islamique donne lieu en Occident à une perception tout aussi effrayée qui occulte parfois le fonctionnement d‘une raison alternative de la rationalité occidentale moderne, une raison de Dieu que le désir des hommes cherchent à rencontrer pour accéder à un désangoissement eschatologique. Se pose donc la question suivante : les guerres pour Dieu de jadis et maintenant ne répondraient-elles pas à une sotériologie nécessitant la cruauté parce qu’elles se veulent des guerres de Dieu, agies pour Dieu et par Dieu à travers le don sacrificiel de soi qu’est l’engagement à lutter contre ce qui est censé être le mal, les puissances du diable fantasmées comme suractivées désormais parce que la fin des temps serait proche ? Les corps de l’ennemi de Dieu ne seraient-ils pas des messages glorifiant la Toute-puissance divine, des pédagogies de la gloire de Dieu, un théâtre de la cruauté qui est aussi une propédeutique de l’absolue Transcendance divine et de l’obligation de soumission totale de l’humain au désir divin ?

10 novembre 2025
Abram de Swaan 
Marée mondiale réactionnaire et émancipation des femmes. Post-scriptum Contre les femmes (Abram de Swaan, 2019)
Depuis les six années écoulées après la parution de Contre les femmes. La montée d’une haine mondiale, les extrémistes de droite et les fondamentalistes chrétiens se sont imposés aux États-Unis et, dans bien des pays, ils tiennent désormais les rênes du pouvoir ou gagnent sans cesse du terrain dans l’opinion. Ces radicaux, religieux ou politiques, incarnent exactement les courants idéologiques que j’avais désignés dans mon livre comme les adversaires farouches de l’émancipation féminine. Et pourtant, je terminais cet ouvrage sur une note d’espérance : partout dans le monde, même dans les sociétés les plus réactionnaires, l’éducation des filles n’a cessé de progresser au cours du dernier siècle. 

Ce que je n’avais pas prévu, en revanche, c’est l’adhésion croissante, au cours de ces dernières années, d’un grand nombre de femmes elles-mêmes aux croyances et idéologies réactionnaires. Le mouvement féministe aurait-il suscité, par contrecoup, une contre-offensive parmi les femmes plus conservatrices, celles dont la vie se concentre avant tout au foyer, et qui se sentent méprisées par la condescendance de certaines féministes envers celles qui « ne font qu’élever leurs enfants et tenir leur maison » — une source pourtant essentielle de fierté pour tant d’entre elles ? Dans le même temps, fondamentalistes et réactionnaires ont infléchi leur discours à l’égard des femmes, mais de façon éminemment ambivalente puisque s’ils disent que la place des femmes est avant tout au foyer, ils n’ excluent pas qu’elles accèdent à des postes de pouvoir, pourvu qu’elles s’emploient à glorifier ce rôle traditionnel de gardiennes du foyer.

8 décembre 2025
Denis Lacorne (directeur de recherche émérite au CERI, dernier ouvrage paru De la race en Amérique, Gallimard, Coll. « L’esprit de la cité », 2025)
Les ‘bons gènes’ du président Trump. Réflexions sur la difficile dé-racialisation de la société américaine

Que se passe-t-il lorsque l’on vit, comme aux États-Unis, dans une société qui reste hyper-racialisée ? Une société où l’on a, trop longtemps, divisé la population entre deux races antagonistes : les Blancs et les Noirs et plus récemment les Blancs d’origine européenne et les nouveaux immigrés — des peuples de couleur originaires du Mexique et du Sud global. Comment se soustraire à l’essentialisme racial, au suprémacisme blanc et à la peur atavique d’un « grand remplacement » ? Comment résister aux catégories raciales imposées par les agents du recensement ? Quelles sont les conditions de possibilité d’un désengagement, d’une dé-racialisation de la société ? Peut-on imaginer une nation « sans race », aveugle ou indifférente à la question de couleur? En bref, est-il possible de « déracialiser l’Amérique » sans détruire toutes les formes de diversité, comme le président Trump et ses émules tentent de le faire en manifestant une forme inédite de «wokisme à l’envers » ? La question du charisme de Trump, au sens wébérien du terme, sera aussi abordée. On montrera que ce charisme est indissociable d’une forte instrumentalisation du religieux à des fins politiques et d’un certain virilisme destiné à humilier les groupes les plus faibles et les adversaires apparemment les plus redoutés.

19 janvier 2026
Houria Abdelahoued 
Professeur à l'Université Sorbonne Paris Nord, psychanalyste et traductrice.
https://www.desfemmes.fr/essai/face-a-la-destruction/
La confiscation du corps de la femme dans l’islam et les sociétés musulmanes

Autant les ouvrages de la littérature arabe conservent soigneusement les poèmes où l'homme donne libre cours à son fantasme, voire à son libertinage ou à son blasphème, autant les femmes ont été livrées à l'œuvre de l'effacement. La censure s'abat sur la femme dès qu'elle parle librement de son corps et de son désir.
Or des femmes rebelles existent bel et bien dans le monde arabo-musulman. Mais, des pans de leur histoire furent effacés lorsqu'ils n'ont pas été déformés. Plus elles sont libres, plus les historiens, sous le poids du politico-théologique, s'acharnent à effacer leurs traces, ce qui équivaut à un meurtre. Car comment concevoir que la femme puisse prendre son envol et parler de son désir, du pulsatile de son corps dans une contrée où elle n'est instituée que comme objet à posséder ou champ à labourer ? 
L'historien s'appuyant sur les commentaires des hagiographes, a fabriqué une Histoire conforme à une politique du pouvoir voire du surpouvoir (si l'on fait nôtre cette expression de Foucault) et à un discours de domination dans un monde hiérarchisé recevant ses lois du ciel. Il a institué une suréminence masculine qui a fondé le politique sacré qui s'oppose à tout travail de pensée. Toute remise en cause équivaut à un blasphème. Les textes des hagiographes deviennent le Texte de la pensée politique et constitue le terreau conceptuel qui a permis l'exclusion de la femme de tous les dispositifs qui permettent une autonomie ou une émancipation ou une parole sur son désir, son corps ou sa chair.

16 février 2026
Gérard Bensussan
Des sadiques au cœur pur

16 mars 2026
Cécile Vaissié 
L’URSS. Le déni. Le cas de Jean-Paul Sartre

30 mars 2026
Jean-Yves Tamet 
Une amitié sous le feu de critiques : Zola-Cézanne

13 avril 2026 
Gilbert Diatkine
La psychanalyse en Europe centrale avant et après 1989 (titre à confirmer)

11 mai 2026
Anna Zielinska
Qu’apprenons nous de Stanley Milgram. Les fragilité disciplinaires de la psychologie sociale

Juin 2026
Riva Kastoryano 
Migrations et identité

Section #Travaux
   

Politiques de la destructivité. Sciences sociales et psychanalyse
François Bafoil et Paul Zawadzki (dir.)

Editions Hermann
2024

 



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