Mobilités sociales et rapports au pouvoir institutionnel
Mobilités sociales et rapports au pouvoir institutionnel
Politix, revue des sciences sociales du politique - Volume 29, numéro 114 "Mobilités sociales", coordonné par Julie Pagis et Paul Pasquali.
Mobilités sociales et rapports au pouvoir institutionnel : une élite du hip-hop en banlieue rouge. Pauline Clech (post-doctorante au COES, Santiago du Chili), p. 149-175.
Cet article est disponible sur la plateforme CAIRN (DOI: 10.3917/pox.114.0149).
À la fin des années 1980, le hip-hop est devenu une contre-culture juvénile et banlieusarde qui a constitué un important lieu de socialisation, à côté de la famille et de l’école, au sein de groupes de pairs à base locale. En analysant les trajectoires post-adolescentes d’enquêtés socialisés au sein de cette contre-culture et cherchant à se maintenir, une fois adultes, durablement dans cette voie, cet article montre qu’une jeunesse s’y est forgé un capital culturel illégitime. Ce capital culturel est à la fois une capacité de repérage au sein d’arts encore peu institutionnalisés, unethos spécifique issu en partie de la « culture des rues » et une politisation sous forme de conflictualité et de revanche sociale, ainsi qu’une méfiance vis-à-vis de toute forme de pouvoir institutionnel. L’acquisition de ce capital culturel a des conséquences sur la position sociale atteinte à l’âge adulte. Deux types de mobilité sociale sont repérables : des enquêtés d’origine populaire connaissent une ascension sociale, là où d’autres, issus des classes moyennes, parviennent à conjurer un déclassement probable. Ce capital culturel a besoin d’espaces d’actualisation pour être socialement efficace : s’il reste largement illégitime au sein de la société, nous montrerons les liens dialectiques qui se sont noués au cours du temps entre ce capital culturel, la mobilité sociale et le pouvoir institutionnel local.
Les institutions publiques locales peuvent constituer des « marchés francs » où valoriser ce capital culturel illégitime. Elles sont omniprésentes dans les trois types de trajectoires étudiées, et ce d’autant plus qu’au cours du temps les membres de cette élite du hip-hop se retrouvent sans groupe de pairs. Cette promotion sociale se fait sur un mode individuel, comme le montrent les expressions « se faufiler » ou « tirer son épingle du jeu ». Ce n’est pas au sein d’une contre-société avec ses propres normes et ses propres institutions qu’ils se sont élevés dans l’espace social : ils ont dû entrer dans le monde des « autres ». Ils s’y trouvent confrontés à de nombreux plafonds de verre qui sont pour eux autant d’occasions de se voir « remis à leur place » (...).