Mettre en valeur les empires XIXe-XXe siècles | CHSP

Mettre en valeur les empires XIXe-XXe siècles | CHSP

AAC | date limite le 15 juin 2022
  • Actualité Sciences PoActualité Sciences Po

Mettre en valeur les empires : XIXe-XXe siècles

9-10 novembre 2022
Centre d'histoire de Sciences Po

Organisateurs :

Comité scientifique :

  • Hélène Blais (École normale supérieure)
  • Emmanuelle Sibeud (Université Paris-8) 
  • David Todd (Sciences Po)
  • Moritz von Brescius (Université de Berne et université d’Harvard)

Argumentaire

L’activité économique, entendue dans son sens le plus large, a longtemps préoccupé l’histoire impériale et coloniale de langue française, au point que certains auteurs nouèrent explicitement le dialogue avec l’économie politique de leur époque [Suret-Canale, 1961 ; Marseille, 1984 ; Bouvier et al., 1986]. Ce thème a ensuite été relativement délaissé dans la littérature des décennies 1990-2000 [citons cependant Bonin et al. (dir), 2008 ; Lefeuvre, 1997 ; Etemad, 2000], alors même que l’histoire coloniale et impériale gagnait en visibilité et connaissait des débats passionnés en dialogue avec les théories post-coloniales [Cooper & Stoler, 1997; Sibeud, 2007]. Sans doute le même constat de marginalisation vaudrait-il pour l’espace académique anglophone, mais avec une nuance supplémentaire : là, après des débuts tout aussi incertains, les pratiques économiques paraissent désormais bien intégrées au renouveau de l’histoire des empires, de même que les représentations, théories, et discours dont elles s’accompagnent [voir par exemple Cooper 1996 ; Goswami 2004 ; Tomlinson 2014 ; Young 2018 ; Todd, 2021].

Ce colloque aurait pour ambition de contribuer à ce dialogue en plein essor en incluant à l’histoire économique des empires les apports de deux champs de recherches particulièrement dynamiques depuis quelques années: la nouvelle histoire du capitalisme d’un côté et l’histoire environnementale de l’autre. La nouvelle histoire du capitalisme a défendu l’intérêt des méthodes développées en histoire sociale, culturelle et politique pour mieux analyser les phénomènes économiques contemporains [Barreyre & Blin, 2017]. Elle a contribué à replacer le concept de capitalisme au cœur de la recherche en sciences sociales [Kocka & Van der Linden, 2016; Piketty, 2019; Lemercier & François, 2020]. Si elle s’est développée à partir d’études sur le terrain étasunien [Beckert & Desan, 2018], elle s’efforce de plus en plus de réfléchir à l’intégration de parties croissantes du monde dans le système capitaliste, notamment en étudiant le rôle joué par les impérialismes occidentaux dans ce processus [Parisot, 2020; Jakes, 2020]. Initialement critiquée pour ne pas proposer de définition du terme de capitalisme, elle s’est récemment, sous l’impulsion de certains auteurs, attelée à conceptualiser cette “forme de vie économique où la logique économique du processus capital [soit “l’assignation à une propriété légale d’une valeur pécuniaire par anticipation d’un probable revenu pécuniaire dans le futur”] devient à la fois habituelle et dominante” [Levy, 2017]. 

De son côté, l'histoire environnementale a replacé les interactions entre les hommes et leur environnement au coeur des préoccupations historiographiques. Elle a notamment étudié les processus par lesquels des ressources naturelles acquièrent une valeur économique et s'est penchée sur l'agency de ces mêmes éléments naturels (l'eau, les animaux, le feu...) dans l'histoire des sociétés humaines [Blackbourn, 2006; Baratay 2012; Pyne, 2019]. Les spécialistes de ce champ s'intéressent par ailleurs depuis longtemps aux sociétés coloniales, qui ont fait l'objet de politiques d'extraction conduites au détriment de l'écologie locale et des peuples colonisés (Beinart & Hughes, 2007; Ross, 2017; Blais, 2019).

Ce colloque aurait alors pour objectif d’analyser comment l’expansion impériale entraîne, et est entraînée par, des processus de valorisation économique d'éléments naturels situés hors de métropole (forêts, terres, minerais, céréales, cheptels…). Son ambition serait ainsi de réinterroger l’histoire impériale à l’aune de l’extension du “processus capital” aux environnements et aux sociétés que dirigent formellement ou qu’influencent informellement les grandes puissances impériales. Il se proposerait ce faisant d’étudier la manière dont les empires sont, littéralement, mis en valeur. Si nous reprenons volontairement cette expression de l’âge d’or des empires coloniaux [par exemple Sarraut, 1923], c’est parce qu’elle nous paraît faire écho aux préoccupations historiographiques actuelles. Par ce terme, nous souhaitons en effet mettre l’accent sur les processus par lesquels les empires acquièrent une valeur économique en raison de l’identification de ressources en leur sein. Ce colloque entreprendrait par ailleurs évidemment d’étudier les empires européens d’outre-mer, mais accueillerait aussi très volontiers des communications sur les empires continentaux russe, ottoman ou austro-hongrois [Dullin, 2021; Türesay, 2013; Judson, 2021] ainsi que sur les empires américains ou japonais [Moore, 2017; Fedman, 2020]. Se concentrant sur les xixe et xxe siècles, il encouragerait à la fois la soumission de propositions basées sur des études de cas précises et la proposition de projets comparatifs, de plus long terme et/ou historiographiques. 

Axes problématiques

Il serait suggéré aux intervenants d’articuler leur réflexion autour des axes problématiques suivants:

  • Les acteurs, les techniques et les objets de la mise en valeur économique des empires. Il s’agirait ici de se demander ce qui fait qu’un territoire impérial est à un moment donné valorisé. Qu’est-ce qui est jugé comme ayant potentiellement de la valeur ? Comment extraire ou maximiser cette dernière ? Et quels groupes sociaux sont moteurs dans ces processus ? Cela pourrait être l’occasion de revenir sur les travaux consacrés au rapport du patronat à l’empire, aux régimes de mobilisation de la force de travail ou au mécanisme de la concession mais également de souligner l’importance d’acteurs parfois négligés dans l’histoire impériale, comme les organisations internationales.
  • Les conséquences de la mise en valeur sur les sociétés impériales. La valorisation économique bouleverse-t-elle les rapports préexistants à l’environnement ? Si oui, comment ? Cela se fait-il sans heurts ou cela entraîne-t-il au contraire des conflits ? De la même manière, les nouveaux régimes d’exploitation des colonies sont-ils toujours bien acceptés ou sont-ils parfois contestés ? Et qu’en est-il en métropole ?
  • L’articulation étroite entre les transformations environnementales des territoires impériaux et l’insertion de ces derniers dans des connexions globales. Comment, par exemple, les investissements venus de métropole entraînent-ils la mise en valeur de nouveaux pans des sociétés impériales et comment, en retour, ces techniques de mise en valeur permettent-elles de générer des capitaux qui sont ensuite réexportés dans d’autres régions du globe ? Ou encore, en quoi les techniques de mise en valeur des environnements impériaux font-elles l’objet de circulations entre différents endroits de la planète ?

Modalités de candidature et organisation

Pour soumettre une proposition, merci d’envoyer un résumé de la communication envisagée (entre 100 et 500 mots) ainsi qu’un court CV d’ici au 15 juin à valuing.empires@gmail.com.

Le colloque junior, organisé par des doctorants, est à destination des jeunes chercheuses et chercheurs (doctorant.e.s ou jeunes docteur.e.s). 

Les frais de déplacement et/ou d’hébergement pourront être pris en charge dans la limite du budget disponible. Merci de signaler lors de votre candidature si vous souhaitez que nous participions à financer votre séjour à Paris et si oui d’où vous arriveriez.

Bibliographie

  • Baratay, Éric, Le point de vue animal: une autre version de l’histoire, Le Seuil, 400 pages.
  • Barreyre, Nicolas et Blin, Alexia, « À la redécouverte du capitalisme américain », Revue d’histoire du XIXe siècle, 2017, no 54, p. 135‑148.
  • Beckert, Sven et Desan, Christine (dir.), American Capitalism: New Histories, New York, Columbia University Press, 2018, 432 pages.
  • Beinart, William & Lotte Hughes, Environment and Empire, Oxford University Press, 2007, 416 pages.
  • Blackbourn, David, The Conquest of Nature: Water, Landscape and the Making of Modern Germany, W.W. Norton, 2006, 480 pages.
  • Blais, Hélène, « Pépinières coloniales : de la valeur des plantes des jardins botaniques au XIXe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2019, vol. 663, no 3, p. 81‑102.
  • Bonin, Hubert, Hodeir, Catherine et Klein, Jean-François (dir.), L’Esprit économique impérial (1830-1970). Groupes de pression et réseaux du patronat colonial en France et dans l’empire, Paris, Publication de la SFHOM, 2008, 844 pages.
  • Bouvier, Jean, Girault, René et Thobie, Jacques, L’impérialisme à la française, 1914-1960, La découverte, 1986.
  • Colpitts, George, Pemmican Empire: Food, Trade, and the Last Bison Hunts in the North American Plains, 2014, 317 pages.
  • Cooper, Frederick, Decolonization and African Society: the Labor Question in French and British Africa, Cambridge University Press, 1996
  • Cooper, Frederick, Stoler, Ann Laura (dir.), Tensions of Empire, University of California Press, 1997
  • Cronon, William, Nature’s Metropolis: Chicago and the Great West W.W. Norton, 1991, 556 pages. 
  • Dullin, Sabine, L'ironie du destin. Une histoire des Russes et de leur empire (1853-1991), Paris, Payot, “Petite bibliothèque Payot”, 2021, 300 pages.
  • Etemad, Bouda, La Possession du monde: poids et mesures de la colonisation (XVIIIe-XXe siècles), Bruxelles, Complexe, 2000, 352 pages.
  • Fedman, David, Seeds of Control: Japan’s Empire of Forestry in Colonial Korea, University of Washington Press, 2020, 320 pages.
  • François, Pierre et Lemercier, Claire, Sociologie historique du capitalisme, Paris, La Découverte, 2021, 428 pages.
  • Goswami, Manu, Producing India: from Colonial Economy to National Space, University of Chicago Press, 2004
  • Jakes, Aaron, Egypt’s Occupation: Colonial Economism and the Crises of Capitalism, Stanford, Stanford University Press, 2020, 352 pages.
  • Judson, Pieter M., L’Empire des Habsbourg: une histoire inédite, traduit par Johan-Frederik Hel-Guedj, Paris, Perrin, 2021, 750 pages.
  • Kocka, Jürgen et Van der Linden, Marcel (dir.), Capitalism. The Reemergence of a Historical Concept, London ; New York, Bloomsbury Academic, 2016, 281 pages.
  • Lefeuvre, Daniel, Chère Algérie. Comptes et mécomptes de la tutelle coloniale, 1930-1962, Société française d’histoire d’outre-mer, 1997
  • Levy, Jonathan, « Capital as Process and the History of Capitalism », Business History Review, 2017, vol. 91, no 3, p. 483‑510.
  • Marseille, Jacques, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Albin Michel, 1984
  • Moore, Colin, American Imperialism and the State, 1893-1921, Cambridge University Press, 298 pages.
  • Parisot, James, « Introduction: The Intersections of Capitalism and American Empire », Journal of Historical Sociology, 8 mars 2020, vol. 33, no 1, p. 1‑8.
  • Piketty, Thomas, Capital et idéologie, Paris, Éditions du Seuil, 2019, 1197 pages.
  • Pyne, Stephen, Fire: a brief history, University of Washington Press, 2019, 240 pages.
  • Ross, Corey, Ecology and Power in the Age of Empire: Europe and the Transformation of the Tropical World, Oxford University Press, 2017, 488 pages.
  • Sibeud, Emmanuelle, « Du postcolonialisme au questionnement postcolonial: pour un transfert critique », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2007, n°4, p. 142-155.
  • Suret-Canale, Jean, Afrique Noire - l’ère coloniale (1900-1945), Editions Sociales, 1961
  • Todd, David, A Velvet Empire: French Informal Imperialism in the Nineteenth Century, Princeton University Press, 2021
  • Tomlinson, Jim, Dundee and the Empire: ‘Juteopolis’ 1850-1939, Edinburgh University Press, 2014
  • Türesay, Özgür, « L’Empire ottoman sous le prisme des études postcoloniales. À propos d’un tournant historiographique récent », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2013, vol. 602, no 2, p. 127‑145.
  • Young, Alden, Transforming Sudan: Decolonization, Economic Development and State Formation, Cambridge University Press, 2018

Appel à communications (PDF, 159 Ko)

Back to top