La crise du sida à Berlin (1980 à nos jours)
La crise du sida à Berlin (1980 à nos jours)
- Actualité Sciences Po
RAPPORT de l’atelier topographique d’histoire
sur le terrain pour jeunes chercheur.e.s
La crise du sida à Berlin (1980-2020) :
urgence médicale, discours politiques et pratiques mémorielles
Lundi 6 juin – Samedi 11 juin 2022
Une collaboration entre le Centre d’histoire de Sciences Po, Paris (Elissa Mailänder), le Centre Marc Bloch e.V., Berlin (Aurélie Denoyer) et le Laboratoire ICT / Les Europes dans le monde, Paris (Patrick Farges) L’actualité épidémiologique et les défis posés à la santé publique incitent à réexaminer l’histoire d’une autre pandémie, celle du VIH/sida. En 1981, une forme particulière de pneumonie est diagnostiquée, d’abord aux États-Unis, puis en Europe, notamment chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, provoquant, pour des années, une « épidémie de signification » (Paula Treichler, 1987). Puis, au milieu des années 1980, en Amérique du Nord et en Europe occidentale, l’épidémie du VIH/sida se propage de manière exponentielle. Les médias évoquent dans un premier temps un « cancer gay », puis la « maladie des 4 H » (héroïnomanes, Haïtiens, homosexuels, hémophiles), stigmatisant ainsi certains groupes sociaux. Dans un tel contexte de « panique sexuelle » et d’urgence médicale, sanitaire et sociétale, le milieu associatif et militant, les arts et la littérature mais aussi l’activisme culturel ont constitué des pôles de résistance et de solidarité, en réponse à l’action des pouvoirs publics, à l’impuissance de la médecine et aux discours et pratiques d’exclusion et de stigmatisation. La perspective proposée dans le cadre de cet atelier topographique était donc d’interroger le VIH/sida comme phénomène multiple et croisé. Le VIH/sida se caractérise par une forme de paradoxe : si les discours médiatique et scientifique des années 1980-90 ont fortement marqué les sociétés occidentales, et plus particulièrement les grandes agglomérations urbaines, la transmission de la mémoire de cette crise est, jusqu’à nos jours, complexe et les réflexions interdisciplinaires, au croisement des sciences humaines et sociales, des sciences naturelles et de la médecine, commencent seulement à s’imposer. À ce titre, le cas berlinois est apparu comme un important noeud européen, voire transatlantique. Ville-palimpseste, Berlin incarne comme peu de lieux la séparation Est/Ouest, dont elle garde des traces vives. Après avoir d’abord nié l’épidémie comme « phénomène capitaliste » et loué le mur comme protection sanitaire, la République Démocratique Allemande (RDA) a mis en place une politique de traçage des malades et de leurs contacts, que seule une dictature avec un système de santé centralisé rendait possible. Prônant une morale sexuelle conservatrice comme meilleure protection contre le virus, une première exposition sur ce thème était organisée au Deutsches Hygiene-Museum de RDA en 1988. À l’Ouest, en République Fédérale d’Allemagne (RFA), certaines figures politiques, comme la ministre fédérale de la Santé de 1985 à 1988, Rita Sü.muth, ont défendu une politique de prévention active. En revanche, le climat politique général durant le mandat du chancelier chrétien-démocrate Helmut Kohl demeurait hostile, conduisant à une stigmatisation des malades. Dans cet État qui n’avait toujours pas abrogé le « paragraphe 175 » criminalisant l’homosexualité entre hommes âgés de moins de 21 ans, l’exposition au VIH et sa transmission étaient poursuivies pénalement. Ainsi, en 1989, la chute du mur, encore perçue comme inconcevable quelques mois auparavant, a fait de Berlin un carrefour de politiques publiques divergentes et de communautés LGBT* qui vivaient la crise du VIH/sida de manières très différentes. L’atelier topographique avait pour objectif d’allier des conférences thématiques et des déambulations dans l’actuelle capitale allemande, placées sous le signe de la mémoire de cell·eux qui ont lutté, vécu et choisi de parler de la crise du VIH/sida. Il s’adressait à des doctorant·e·s et postdoctorant ·e·s issu·e·s des humanités, des sciences sociales et de la médecine afin d’encourager un dialogue interdisciplinaire. L’ambition était de faire intervenir, d’une part, des spécialistes d’une sociohistoire culturelle du sida ; d’autre part de rencontrer des expert·e·s (médecins, muséographes, travailleurs sociaux/travailleuses sociales) et de visiter des lieux emblématiques. Ainsi, les participant·e·s pouvaient se confronter à des registres de narration et des récits mémoriels différents, au travers d’interventions de personnes aux profils divers, portant alternativement des formes de savoirs-experts et de savoirs-militants. Aux différents registres narratifs correspondaient souvent des lieux spécifiques, ce qui permettait aussi d’aborder la question des (in)visibilisations dans l’espace urbain.