Le Centre d'histoire fête ses 40 ans
Le Centre d'histoire fête ses 40 ans
- Crédit : Alexis Lecomte / Sciences Po
Si l’histoire a toujours été une discipline centrale des études à Sciences Po, ce n’est qu’en 1984 que fut créé un centre de recherche qui lui était spécifiquement consacré. Depuis lors, le Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP) n’a cessé d’affirmer sa raison d’être : éclairer les évolutions des sociétés, y compris les plus récentes, avec le recul propre à la discipline. Il s’est profondément transformé au cours de ces quatre décennies, en élargissant son recrutement, ses champs de recherche et ses méthodes. Aperçu avec son directeur, Paul-André Rosental.
Dans quel esprit le Centre d’histoire de Sciences Po a-t-il conçu l’anniversaire de ses 40 ans ?
Il s’agit de prendre du recul sur les transformations majeures que le Centre a connues depuis sa création en 1984, sous l’intitulé de « Centre d'histoire de l'Europe du Vingtième siècle » (CHEVS). Nombre de ces transformations datent de la fin des années 2000, et doivent beaucoup aux dynamiques impulsées par Bruno Latour, directeur scientifique de l’époque, auquel un hommage est rendu ces jours-ci via un colloque de grande ampleur. Sous la direction de Marc Lazar se produisirent alors l’expansion des effectifs du CHSP ; l’internationalisation de sa faculté
permanente, de ses doctorants, de ses aires de recherche ; la diversification de ses thématiques et de ses approches ; l’extension enfin de son arc chronologique, de la fin de l’époque moderne aux temps contemporains.
Pour autant, trois constantes ont accompagné la vie du Centre en lui donnant sa singularité. La première est son centrage sur l’histoire politique. La deuxième est son souci constant de contribuer à la compréhension du monde actuel. La troisième est d’avoir toujours su créer une forte identité au sein de la communauté étudiante et doctorante qu’il formait. Notre colloque anniversaire entend présenter nos axes de recherche actuels tout en rendant hommage aux travaux de celles et ceux qui nous ont précédés. Nous avons notamment tenu à inviter d’anciens étudiants de DEA des années 1980 (masters de l’époque), devenus depuis des historiennes et
historiens renommés, et, en présence de nombre de leurs professeurs de l’époque, relater ce qu’était la vie du centre.
Quelles sont les caractéristiques de la métamorphose que vous évoquez ?
Le Centre d’histoire a connu un rayonnement marqué dans ses deux premières décennies en promouvant et diffusant une histoire renouvelée du politique et de la politique. Des domaines d’étude cruciaux (les intellectuels, les relations internationales, la Seconde Guerre mondiale), de grands colloques, des réalisations éditoriales visibles, des enseignements et manuels qui ont accompagné des générations d’étudiants et d’étudiantes, des versements de fonds d’archives prestigieuses, ont fait sa renommée et drainé des dizaines de doctorants vers l’histoire du 20ᵉ siècle. Depuis, le Centre a considérablement enrichi l’éventail de ses sujets de recherches. Il s’est étendu à toute l’histoire dite « contemporaine », il a développé son ancrage interdisciplinaire, de la littérature à l’économie politique en passant par toutes les sciences sociales et même les sciences de la vie. Cet élargissement de la notion d’histoire politique lui permet de maintenir sa vocation originelle, éclairer d’un point de vue historien les mutations de notre époque, tout en l’étendant à une dimension européenne et mondiale en intégrant les perspectives transnationales, impériales et coloniales. Le Centre est aussi devenu un lieu de circulation internationale majeur pour les doctorants, postdoctorants et chercheurs.
Quelles sont vos spécificités : comment se fait l'histoire au Centre et à Sciences Po, quelles méthodes ?
L’extension des thèmes de recherche du CHSP a accompagné celle de la « politique » telle qu’elle se présente aujourd'hui pour les citoyens et citoyennes. L’étude des rapports, y compris guerriers, entre États ; l’analyse des institutions publiques, des partis, des syndicats et mouvements sociaux ; le déchiffrement des idéologies et des représentations, y compris passionnelles, y sont toujours centrales, mais s’analysent de plus en plus avec le recours aux disciplines voisines : la sociologie des organisations comme des savoirs, l’économie politique, l’anthropologie de l’intime et des rapports de genre ; l’esthétique aussi, puisque le CHSP est un Centre d’histoire et d’histoire de l’art.
Les objets auxquels s’appliquent ces approches se sont multipliés. Les contextualisations historiques de la crise climatique, de la santé globale et du domaine biopolitique, des technologies statistiques et numériques, de l’infrapolitique et des constructions de soi, des savoirs de la littérature, sont autant de leviers pour repenser ce que deviennent « le » et « la » politique. Il en va de même des transformations de l’État en longue période, de ses déclinaisons en État-Nation, en Empire colonial, en assemblage centralisé, fédéral ou confédéral ou encore des rapports de l’État avec la protection sociale et le marché. Le CHSP est à la pointe de l’intérêt pour l’histoire de la
démocratie, de ses crises, de ses refondations, point crucial hier comme aujourd’hui pour toute histoire politique. L’une des manifestations en est l'approche réflexive avec laquelle ses membres recherchent et enseignent sur les usages de l'histoire et les instrumentalisations idéologiques du passé.
Il y a deux ans, nous avions consacré un colloque au « Retour de l’Histoire » et des menaces dont il est porteur. Comme le montre le clin d’œil de notre affiche à la Fée électricité, nous souhaitons aujourd'hui exposer le regard que donne la connaissance historique sur la compréhension du monde en interrogeant les tensions qui, partout, traversent aujourd'hui le paysage politique et géopolitique, à l’heure où la circulation des personnes, des biens et des idées, se heurte à l’intensité des intérêts et des imaginaires du national.
Paul-André Rosental
Directeur du Centre d'histoire de Sciences Po
4 décembre 2024