Marc-Antoine Eyl-Mazzega
Shira Havkin
Depuis 2006, les checkpoints situés le long des limites de la Cisjordanie et de la bande de Gaza ont été réaménagés et équipés d'une nouvelle plateforme technologique. Leur gestion a également été déléguée à des entreprises de sécurité privées. Les initiateurs de ces réformes ont évoqué une « citoyennisation » des « passages » et justifié leur démarche au nom d'une rationalité économique, organisationnelle et humanitaire. L'étude détaillée des modalités concrètes d'externalisation et de marchandisation de la gestion des checkpoints israéliens permet d'établir des liens entre évolutions internes de la société israélienne, au niveau des rapports entre Etat, marché et société, et transformations actuelles du dispositif de l'occupation. Il semble que l'on soit en présence non pas d'un retrait de l'Etat face aux forces du marché, dans ce qui est imaginé comme un jeu à somme nulle, mais d'un redéploiement dans un contexte néolibéral, qui renvoie à des formules locales et particulières de chevauchement entre public et privé, national et international, sphère étatique et sphère d'une société dite civile.
Introduction du Ceriscope Frontières, publication scientifique en ligne du Centre d’études et de recherches internationales (CERI) réalisée en partenariat avec l’Atelier de cartographie de Sciences Po.
La scène frontalière contemporaine est bien plus animée que les discours sur l'état d'un monde aplati par la globalisation le laissent entendre. L'inscription territoriale des phénomènes politiques et géopolitiques, économiques et démographiques s'accentue de sorte que les frontières politiques deviennent plus nombreuses, plus visibles et en plein règlement. Les contentieux persistent et on observe un recours croissant aux instances juridiques pour la gestion des différends. Les régimes de contrôle frontaliers se font plus stricts même s'ils s'avèrent plus dispersés. Bref les phénomènes de cloisonnement vont de pair avec la généralisation de l'ouverture aux flux de toutes natures.
Les savoirs sur la frontière relèvent de diverses disciplines mais, spontanément, la frontière est associée au territoire, à la souveraineté, à l'État, à la sécurité. Cet article vise à rendre compte des approches classiques de la frontière, de ce qui fait leur force et leur unité. Il vise aussi à décoloniser et décloisonner ces savoirs et présente une série d'approches alternatives où la frontière n'est pas l'enveloppe territoriale. La frontière, dans ce cas, ne serait-elle pas la mise en sens rétroactive, dans un monde fluide, des différences de perspectives entre groupes hétérogènes sur la mobilité et son contrôle et la légitimation de ces pratiques ?
La frontière, en tant que principe organisateur des relations internationales, a une histoire. Il faut tenir compte de celle-ci pour comprendre pourquoi, vu d'Europe, la notion de « dépassement des frontières » peut sembler une sorte d'idéal politique à atteindre, alors que vu d'ailleurs ce n'est pas nécessairement le cas. Le contraste des perceptions est, en l'occurrence, particulièrement net entre les anciennes puissances impériales européennes et les nations qui ont subi la domination de ces dernières. La signification de la souveraineté n'est historiquement pas la même chez les unes et les autres. L'homogénéité du discours sur le « village global » ou le « monde sans frontières » tend à faire perdre de vue cette différence fondamentale entre les trajectoires nationales. Elle n'en pèse pas moins dans la façon dont les Etats, européens et non-européens, se positionnent face à la mondialisation contemporaine.
La notion de frontière se confond avec l'histoire de l'humanité et ses acceptions sont multiples. Frontière-ligne, frontière-zone, confins, limite entre la civilisation et son contraire, le sauvage, le désert. La frontière se situe au point d'équilibre de trois données sociologiques : le territoire, l'État et la Nation. Marquant les contours d'un espace homogène, elle participe au fondement de l'État-Nation. Héritage de l'Histoire, son abornement est source de conflits lorsque frontière et fondements ethniques, religieux ou culturels des peuples résidants ne se recoupent pas comme dans le cas de la décolonisation en Afrique ou de la dissolution des anciens pays du bloc de l'Est. Compromis, équilibre instable et sujet à évolutions, il semble évident qu'il ne peut exister aucune frontière idéale.
En dépit de la Convention de Montego Bay régulant les différents espaces maritimes, force est de constater que les différends territoriaux concernent régulièrement les frontières maritimes. De nouvelles revendications territoriales voient actuellement le jour, en raison des enjeux économiques liés à l'appropriation de nouvelles ressources naturelles ou induits par le réchauffement climatique (cf. Arctique). La volonté de certains États d'affirmer leur puissance régionale peut également se traduire par une stratégie de « juridiction rampante » sur des zones maritimes voisines (cf. Mer de Chine). La nécessité de garantir la sûreté en mer se traduit, par ailleurs, par la surveillance du franchissement illicite des frontières maritimes (cf. immigration par mer) et par la lutte contre la criminalité exploitant les défaillances de certains espaces maritimes (cf. narcotrafic, piraterie).
Tandis que certains annoncent la « globalisation » du monde, l' « Europe » se cherche une frontière extérieure à laquelle ses États-membres seraient susceptibles d'articuler leurs mécanismes de contrôle et de surveillance des individus mobiles. Établissement d'une frontière et ancrage de l'Europe dans une modernité politique dépassée par les flux transnationaux, ou traçabilité des individus au moyen d'outils techniques déterritorialisés qui rendent la frontière-ligne géographique obsolète ? C'est là l'aporie face à laquelle se trouve aujourd'hui l' « Europe » - et, avec elle, les États-nations de l'ère de la modernité politique. Une aporie que nous nous proposons de discuter en explorant les pratiques de frontiérisation et leurs effets.
Christian Drapier
Marie-Laure Basilien-Gainche
A la suite du printemps arabe qui a marqué le début de cette année 2011, quelque 30 000 Nord-Africains ont débarqué sur les côtes italiennes et ainsi ravivé les peurs d'une Europe en crise de croissance et d'identité. Dénonciation d'un manque de solidarité entre Etats membres de l'Union dans le partage du « fardeau » de l'accueil des migrants par les uns, accusation d'un manque de vigilance dans les contrôles aux frontières extérieures de l'Union par d'autres, les tensions se sont avivées entre l'Italie et la France ; entre les Etats méditerranéens et les autres ; entre certains Etats membres et l'Union ; entre le Conseil et la Commission. Le débat sur une remise en cause des accords de Schengen met en évidence combien les fondamentaux de cet espace sont aujourd'hui malmenés, qu'il s'agisse de la libre circulation des personnes ou de la confiance mutuelle entre Etats membres.
Thomas Perrin
L'institutionnalisation de la coopération transfrontalière en Europe est le produit de l'action combinée des principaux acteurs publics de la gouvernance communautaire à de multiples niveaux : les deux principales organisations européennes – Conseil de l'Europe et Union européenne ; les autorités territoriales et les États. Or, si cette action a eu pour résultat commun l'émergence et la multiplication d'espaces et d'organisations transfrontalières, communément désignées comme « eurorégions », cela ne va pas sans soulever de contradictions, à commencer par celle d'une « institutionnalisation sans institution », alors même que le droit européen ouvre de nouvelles perspectives de structuration juridique pour de telles organisations.
Géraldine Chatelard et Mohamed Kamel Doraï
L'émigration des Irakiens, qui remonte aux années 1990, s'inscrit dans la longue liste des migrations forcées qui marquent la région du Moyen-Orient à chaque nouvelle crise géopolitique. Elle est aussi le fruit de relations migratoires plus longues, qui s'appuient sur des logiques plurielles, contribuant à redéfinir les frontières entre l'Irak, la Syrie et la Jordanie. Ces deux derniers pays accueillent aujourd'hui l'essentiel des Irakiens qui quittent leur pays depuis le changement de régime, et jouent un rôle central dans l'architecture actuelle de la diaspora irakienne. Après avoir retracé les différentes phases d'arrivées des Irakiens dans ces deux pays, la question de la gestion de ce flux migratoire est traitée en montrant les convergences et les spécificités propres des politiques d'accueil mises en place.
Frédéric Lasserre
Deux grandes questions politico-juridiques structurent les relations des pays riverains de l'océan Arctique. La question du statut des passages arctiques diffère de la question des frontières maritimes dans l'Arctique, dont il sera question ici. Les médias relayent aujourd'hui, de façon récurrente, l'idée d'une course à la conquête des espaces maritimes arctiques. Cela fait plusieurs années que les pays riverains de l'Arctique préparent leurs dossiers destinés à étayer leurs arguments géologiques pour revendiquer des plateaux continentaux étendus. Ce n'est qu'en 2007 qu'une fièvre médiatique s'en est emparée, accréditant l'idée d'une course effrénée, alimentée par les changements climatiques pour la conquête des ressources naturelles de la région : une représentation très exagérée et peu conforme à la réalité tant historique que juridique.
La question des frontières reste d'une brûlante actualité dans toute l'Asie du Sud, notamment entre l'Inde et le Pakistan, deux pays nés en même temps qu'une partition sanglante en 1947. Le principal litige frontalier qui les oppose se situe au Cachemire, théâtre d'une guerre qui a donné lieu en 1948 à une ligne de cessez-le-feu qui a été rebaptisée « line of control » en 1972 mais dont le statut n'est toujours pas celui d'une frontière internationale. L'enjeu du Cachemire est quasiment existentiel pour les deux pays. Pour l'Inde, garder dans son giron sa seule province à majorité musulmane est essentiel à sa qualité multiculturelle. Pour le Pakistan, tenir cette région dans ses frontières validerait sa prétention à servir de « homeland » aux Musulmans de l'Asie du Sud.
Justine Guichard
La division des deux Corées est souvent considérée comme le dernier vestige de la guerre froide, vingt ans après l'effondrement de l'URSS et la fin de sa rivalité avec les États-Unis. Si l'antagonisme entre les deux blocs a indéniablement contribué à l'enracinement et au maintien de la division, cette dernière a aussi été structurée par des forces et des logiques qui, sans être étrangères à la guerre froide, la dépassaient et continuent aujourd'hui de s'exercer. Comprendre la frontière coréenne revient donc à s'aventurer par-delà la guerre froide, non seulement sur le plan chronologique mais également du point de vue de l'analyse afin de restituer le rôle des acteurs de premier plan que sont les deux Corées elles-mêmes et les autres puissances d'un ordre régional désormais multipolaire.
Avec l'avènement de la république populaire de Chine le 1er octobre 1949 et le repli concomitant des institutions de la république de Chine à Taiwan, la frontière sino-taiwanaise est, depuis lors, l'objet d'un contentieux multiforme, tant en ce qui concerne son tracé que son statut. Bien que Pékin ne soit pas parvenu à exercer son contrôle sur l'île de Taiwan, la frontière sino-taiwanaise n'est pas reconnue comme une frontière interétatique, ni par le régime chinois, ni par la communauté internationale. Pour autant, si le maintien du statu quo reste l'objectif prioritaire des dirigeants taiwanais, quel que soit le parti au pouvoir, les clivages partisans s'ordonnent autour de l'alternative réunification/indépendance. En outre, le vaste mouvement de délocalisation de l'industrie taiwanaise sur le continent a engendré un processus complexe d'ouverture de la frontière mais qui va de pair avec sa militarisation croissante.
Pavin Chachavalpongpun
Tristan Bruslé
La frontière indo-népalaise est des plus perméables. Chaque jour, elle est librement franchie par des milliers de Népalais et d'Indiens pour qui elle n'existe finalement que sur le papier. Les flux d'hommes et de marchandises, différentiellement régulés par des traités depuis 1950, sont ininterrompus de sorte que les deux pays sont intrinsèquement liés l'un à l'autre. Mais ces échanges se font principalement au bénéfice de l'Inde, qui par ce biais assoit sa domination sur le Népal. Dans la continuité de la politique himalayenne de l'Empire britannique, l'Inde considère en effet son voisin comme garant de sa propre sécurité. Dans ce contexte, l'ouverture des frontières va de pair avec une dépendance économique et politique du Népal vis-à-vis de son « grand frère » sud-asiatique.
Contrairement à l'opinion commune, les conflits de frontière ont été relativement rares sur le continent africain depuis les indépendances. Le conflit entre Érythrée et Éthiopie est de ce point de vue paradoxal. La question frontalière n'était qu'une des causes du conflit mais la médiation internationale en a fait la raison centrale. Ce conflit vise également pour certains à séparer, dans des structures étatiques, différentes un même groupe ethnique. Le conflit de frontière apparaît surtout comme un moment endogène de la construction étatique, même s'il met en lumière des dynamiques régionales.
Le conflit du Sahara Occidental apparaît comme le principal facteur de blocage dans la construction d'une intégration régionale. Pour la monarchie marocaine, il lui a permis de s'approprier le sentiment nationaliste alors porté par le mouvement de l'Istiqlal qui faisait de la cause du grand Maroc l'un de ses combats politiques. Pour le régime algérien, il a représenté un moyen de justifier le pouvoir d'une armée et d'entretenir le sentiment nationaliste. L'avantage du conflit saharien était évident : l'instauration, sous couvert d'un sentiment nationaliste, de régimes politiques autoritaires. Depuis une décennie, ce conflit « gelé » est bloqué à la fois par « le statut avancé » du Maroc avec l'UE, qui n'ose aborder ce problème et le retour de l'abondance financière en Algérie qui alimente son intransigeance sur le dossier.
Laurent Lacroix et Laetitia Perrier-Bruslé
En avril 2009, la Bolivie et le Paraguay signent un traité de démarcation frontalière qui met fin à un contentieux frontalier né de la guerre du Chaco (1932-1935). Pour les deux seuls pays enclavés du continent américain, l'enjeu consiste désormais à réhabiliter une région frontalière qui a longtemps constitué un glacis. Malgré les projets d'intégration économique et de coopération bilatérale, la frontière reste un thème sensible, à l'origine de quelques tensions diplomatiques et militaires. Les deux pays devront outrepasser ces contretemps liés à la mémoire collective encore marquée par le conflit armé qui les a opposés. Sans quoi, le Chaco pourrait bien demeurer un angle mort dans les mégaprojets définis dans le cadre de l'intégration de la région sud-américaine (IIRSA) et rester un espace idéal pour les contrebandiers et les trafiquants.
Kevin Parthenay
Laetitia Perrier-Bruslé
Michel Bruneau
Une diaspora est une construction communautaire et identitaire particulière, issue de plusieurs phases de dispersion, ou de différents types de migrations et de la combinaison de plusieurs identités, liées aux différents pays d'accueil et au pays d'origine. Elle a une existence propre, en dehors de tout État, s'enracine dans une culture forte (religion, langue…) et des temps longs. Le modèle hybride a-centré de la diaspora noire des Amériques n'a pas de noyau dur identitaire ni de continuité ou de tradition, mais des formations variables, en rupture, obéissant à une logique du métissage. On voit aujourd'hui apparaître de nouvelles formes de territorialités transnationales qui obéissent à d'autres logiques. Ce sont les communautés transnationales qui sont nées, dans la seconde moitié du XXe siècle, de la migration de travailleurs conservant leurs bases familiales dans leur État-nation d'origine et circulant entre cette base et un ou plusieurs pays d'installation.
Adeline Braux
Le grand mouvement d'échanges migratoires qui a eu lieu dans la période ayant immédiatement suivi la disparition de l'URSS a conduit à la constitution, sur le sol russe, de ce qu'on appelle désormais des « diasporas ». Pour les communautés immigrées arménienne, azerbaïdjanaise et géorgienne, le petit commerce demeure une voie d'intégration économique privilégiée, suscitant souvent des réactions d'hostilité dans la société russe. À bien des égards, elles font figure désormais de minorités intermédiaires, sortes de « tampons » entre les élites et les masses, d'autant plus que, depuis les années 2000, le curseur des griefs faits habituellement aux immigrés, semble s'être déplacé vers les migrants originaires d'Asie centrale. Contrairement à ces derniers, les ressortissants des pays du Sud-Caucase peuvent toutefois compter sur l'appui de leurs pays d'origine qui ont développé, à des degrés divers, des politiques à destination de leurs émigrés.
Avec la mondialisation des migrations et les politiques de contrôle renforcé des frontières mises en place par la plupart des pays d'arrivée, de nombreux flux migratoires sont devenus illégaux. Les causes en sont multiples : difficulté des pays d'accueil à reconnaître qu'ils manquent de main-d'oeuvre dans les secteurs non qualifiés, souvent pourvus par des sans papiers, crise du droit d'asile où 80% des demandeurs sont aujourd'hui déboutés, laissant dans la clandestinité le plus grand nombre, envie d'ailleurs de nombreux jeunes scolarisés, informés et sans emploi au sud dont la traversée clandestine passe pour une odyssée. Aussi, la distinction des migrations entre flux légaux et illégaux est-elle devenue particulièrement pertinente car du statut découlent les conditions de circulation, d'installation et d'entrée sur le marché du travail.
Après avoir illustré comment la science économique envisage l'enjeu spatial, on analyse l'innovation majeure apportée par la globalisation : là où le commerce international se heurtait à un « effet-frontière » relativement identifiable et linéaire (un tarif douanier), il est avant tout confronté aujourd'hui à des obstacles territoriaux. Ainsi, accroître les échanges internationaux demande de négocier sur les règles du jeu internes à chaque économie : droit de la concurrence, du travail, de la consommation, de l'environnement, etc. De fait, ceci met en question la construction progressive de ces économies et de leur armature institutionnelle, sur les décennies et parfois les siècles passés. C'est la rencontre de l'histoire et de la géographie. Et parce que redessiner les frontières demande donc de renégocier la constitution civile des marchés, au plan interne, l'économie politique de la libéralisation devient elle-même beaucoup plus complexe. Après avoir analysé la réponse européenne à ce dilemme régulation interne / ouverture externe, on identifie trois principes génériques de coordination par lesquels envisager la renégociation des frontières : le traité international, la reconnaissance mutuelle des normes, et l'hégémonie.
Brahma Chellaney
Yahia H. Zoubir
Adeline Braux
Les discours hostiles aux migrants, voire xénophobes, demeurent la plupart du temps la norme en Russie. Pour autant, la politique migratoire de la Fédération de Russie apparaît relativement souple, en particulier à l’égard des pays membres de la CEI, dont les ressortissants bénéficient de procédures simplifiées pour l’entrée sur le territoire russe et l’obtention d’un permis de travail. Les autorités russes, échaudées par l’expérience des pays d’Europe occidentale, entendent ainsi favoriser l’immigration de travail et limiter l’immigration familiale. Parallèlement, afin de favoriser la cohésion de la nation russe dans son ensemble, la Fédération de Russie entend mener une politique de promotion de la diversité culturelle ambitieuse, tant envers les différents peuples constitutifs de Russie qu’envers les communautés immigrées présentes sur son territoire. Ce « multiculturalisme à la russe » n’est d’ailleurs pas sans rappeler la folklorisation dont les cultures et traditions des différents peuples d’URSS étaient l’objet pendant la période soviétique. Toutefois, faute d’une véritable ligne directrice au niveau fédéral, les autorités locales ont été plus actives en la matière, notamment à Moscou.
Boris Grésillon
Emmanuelle Armandon
Anaïs Marin
Sabrina Vidalenc
Burcu Gorak Giquel
Dans le cadre des politiques européennes de développement régional, les coopérations transfrontalières représentent un élément de toute première importance, pour trois raisons : elles renforcent les partenariats entre, d’une part, les acteurs centraux, régionaux et locaux, d’autre part, les acteurs publics privés et associatifs ; elles s’adossent à l’architecture décentralisée des Etats en assignant à chaque niveau d’intervention son propre rôle en matière de développement ; enfin, elles favorisent l’initiative locale. Elles deviennent ainsi les vecteurs de la « gouvernance à niveaux multiples » qu’entend promouvoir l’Union européenne (UE), en liant l’organisation de l’action publique, les coopérations entre acteurs et l’ancrage dans les territoires. Pour un Etat très centralisé comme la Turquie il s’agit d’un défi et d’une chance : défi, parce que la régionalisation concerne directement la structure unitaire de l’Etat. Chance, parce que l’UE n’oblige à aucune décentralisation forcée. Au contraire, elle laisse aux acteurs nationaux le soin d’aménager leur propre architecture territoriale en fonction de leur trajectoire historique et de la négociation entre centre et périphérie. Cette Etude le démontre en insistant sur deux aspects des transformations turques : la décentralisation n’est nullement un préalable à l’adhésion ; des coopérations différentiées existent aux frontières avec la Bulgarie et avec la Syrie, preuve de la dynamique d’européanisation des administrations turques.
La crise du Darfour a permis de mettre en lumière des crises irrésolues sur ses frontières au Tchad et en République centrafricaine. Le point commun de ces différents conflits est sans doute l’existence de mouvements armés transnationaux qui survivent et se recomposent dans les marges qu’autorisent les dynamiques étatiques dans la région, ainsi que les apories des politiques de résolution des conflits de la communauté internationale – apories redoublées par les choix de certaines grandes puissances. Une analyse de la conjoncture en Centrafrique et de l’histoire de certains mouvements armés, inscrits dans cet espace régional, plaide pour une approche moins conventionnelle des politiques de sorties de crise. Elle met en exergue une zone centrée sur la Centrafrique et ses frontières avec les pays voisins comme véritable site d’analyse du factionnalisme armé depuis les indépendances, ainsi que des trajectoires spécifiques de construction étatique.
Avec plus de 8 millions d’expatriés, la population représente la principale exportation nationale des Philippines. Les transferts de fonds constituent 13?% du PIB et font des expatriés des acteurs économiques centraux. L’Etat philippin a-t-il instrumentalisé cet exode afin d’en récolter les fruits ? Répondre à cette question nécessite de distinguer trois concepts fondamentaux : l’Etat, la diaspora et le transnationalisme. Le texte suggère que l’utilisation de la dichotomie de la force et de la faiblesse d’un Etat doit se fonder sur une analyse du rôle de ce dernier dans l’émigration. Les typologies de Robin Cohen servent par ailleurs à démontrer que les communautés philippines d’outre-mer répondent à des caractéristiques propres à des communautés diasporiques plus généralement reconnues. Reste qu’il faut s’interroger sur les expériences de cette diaspora hétérogène pour mettre en avant la distinction entre émigrés permanents, saisonniers, travailleurs en mer et personnes en situation irrégulière. La vie de ces groupes et leurs relations avec leur "mère patrie" remet en question la prédominance de la notion de "transnationalisme". Cette analyse critique est renforcée par l’examen du rôle de l’Etat dans la création d’une diaspora instrumentalisée au cours de trois périodes de politiques d’immigration depuis 1974. Les caractéristiques qui ressortent de cette analyse sont des formes de "nationalisme longue distance" (Anderson, Schiller) et de "cosmopolitanisme enraciné" (Appiah). D’autres pistes de recherche plus fructueuses peuvent naître de l’exploration des multiples identités, des loyautés et dans le cas philippin des "nationalismes binaires".
Zuzanna Olszewska
Si l’émigration afghane est le fruit de la conjoncture sociopolitique – sècheresses, changements de régime, guerres – et de la structure économique – pastoralisme, cycles saisonniers des activités productives –, elle s’inscrit dans un continuum historique de mouvements récurrents de populations à l’échelle de la région. De nombreux Afghans, notamment mais non exclusivement hazara, ont fait souche en Iran depuis la fin du XIXe siècle. Leur présence dans ce pays s’est intensifiée dans les années 1970, à la suite du boom pétrolier iranien et de la sècheresse en Afghanistan, puis des bouleversements politiques que ce pays a connus depuis 1978. La politique de la République islamique à l’égard des Afghans a été à la fois changeante et incohérente ; elle s’est désormais donné pour but leur rapatriement, dans un climat de xénophobie à la fois officielle et populaire. Pourtant, la présence afghane sur le sol iranien semble irréversible : elle satisfait des besoins économiques, exprime l’intensité des échanges commerciaux entre les deux pays, constitue une réalité sociale transfrontalière complexe. Enfin, elle nourrit un débat public et juridique sur la définition de la citoyenneté et paraît inhérente à l’idée nationale iranienne elle-même..
Odette Tomescu-Hatto
L’élargissement de l’Union européenne en direction des pays de l’Europe centrale et orientale suscite des interrogations en ce qui concerne les nouvelles lignes de frontière tracées par Bruxelles entre les Etats membres et leurs futurs voisins. Quelles seront les conséquences de l’élargissement pour les relations roumano-moldaves et les implications de ces dernières sur la sécurité de la nouvelle frontière européenne et la stabilité de la région ? L’analyse, d’une part, de l’impact de l’application de l’acquis communautaire à la frontière roumano-moldave sur la république de Moldavie et sur les relations roumano-moldaves et, d’autre part, des limites de la nouvelle Politique européenne de voisinage par rapport à la Moldavie permet de décrire les difficultés que rencontre l’UE à conjuguer à la fois sécurité et intégration.
Sébastien Colin
Depuis la reprise de leurs pourparlers au milieu des années quatre-vingt, les relations entre la Chine et la Russie – qui était encore l'Union soviétique lors de cette relance – sont particulièrement dynamiques. Sur le plan international, les deux pays possèdent en effet plusieurs points de vue qui convergent. Ces préoccupations communes ont abouti à la signature d'un partenariat stratégique en 1997, puis à celle d'un nouveau traité d'amitié en 2001. La complémentarité qui règne entre les deux pays dans les secteurs de l'énergie et de l'armement rend également la coopération dynamique. Cependant, cette alliance n'est pas sans limites. Principalement visés par elle, les Etats-Unis ont largement les moyens de la court-circuiter, comme ils l’ont fait juste après les attentats du 11 septembre 2001. Dans le domaine de la coopération, l'intensité et la structure du commerce entre les deux pays sont également insuffisantes. L'évolution du commerce durant la décennie quatre-vingt-dix a été très irrégulière et marquée par une chute entre 1994 et 1996, dont les causes principales se situent à l'échelle locale, le long de la frontière sino-russe. Après avoir été dynamique entre 1988 et 1993, l'ouverture de la frontière a provoqué l'apparition de nouveaux problèmes comme l'immigration illégale chinoise dans les régions frontalières peu peuplées de la Russie. Si cette dernière a été très mal vécue par les populations locales russes, c'est surtout la question de la rétrocession de certains territoires à la Chine, lors de la démarcation frontalière entre 1993 et 1997, qui a radicalisé les esprits, paralysant la coopération frontalière. Les gouvernements russe et chinois sont intervenus activement pour essayer d'apporter des solutions à la plupart de ces problèmes, comme le montre l'épisode du programme Tumen. Depuis, les différentes autorités des deux pays tentent de relancer la coopération frontalière, mais il subsiste encore un certain nombre de problèmes, principalement d'ordre économique, qui varient selon les régions frontalières.
Jae-Seung Lee
La coopération économique en Asie orientale a été poursuivie activement ces dernières années, en particulier depuis la crise financière asiatique. Plusieurs accords bilatéraux ou multilatéraux de zones de libre-échange ont été conclus ou sont en cours de négociation. Le rapport du Groupe de vision pour l'Asie orientale (East Asia Vision Group), récemment publié, offre des indications plus concrètes pour l'établissement d'une Communauté économique est-asiatique. La zone de libre-échange de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (AFTA) est devenue une réalité après une période de dix ans de réduction des tarifs douaniers. L'ASEAN+3 (Asie du Sud-Est, Japon, Chine, Corée du Sud) a également proposé de créer une zone de libre-échange de l'Asie orientale (EAFTA). Le Japon a signé un accord de libre-échange avec Singapour, tandis que la Chine et l'Asie du Sud-Est ont prévu de créer une zone de libre-échange d'ici dix ans. Sur le plan financier, l'initiative de Chiang Mai a permis la création d'un fonds monétaire régional, en étendant l'accord existant sur les échanges de devises à l'ensemble des pays membres de l'ASEAN, et en l'augmentant d'accords bilatéraux entre l'ASEAN et la Chine, le Japon, la Corée du Sud. Les pays d'Asie orientale ont aussi établi un mécanisme de veille de leurs performances économiques respectives. Mais il reste plusieurs obstacles au développement de la coopération économique régionale. L'hétérogénéité politique, économique et culturelle de l'ensemble des pays d'Asie orientale fait partie des problèmes structuraux. Les faibles légalisation et efficacité d'institutions régionales imbriquées les unes dans les autres rendent difficile l'approfondissement de la coopération régionale. L'instabilité interne des pays d'Asie du Sud-Est peut aussi ralentir cette coopération. La rivalité du Japon et de la Chine dans la région doit être observée de près. La coopération économique est-asiatique ira en s'accélérant dans un avenir proche. Depuis l'annonce d'accords de libre-échange entre l'ASEAN et la Chine, le Japon a cherché des alliances pour faire face à la montée en puissance chinoise, et pour maintenir sa propre influence dans la région. Les prochaines années verront l'apparition de nombreuses relations bilatérales ou multilatérales, financières et commerciales, en Asie orientale.
Gilles Dorronsoro
Frédéric Grare
Marc Parant
Emmanuel Mathias
Gilles Bertrand
Nebojsa Vukadinovic
Olivier Roy
Une des causes de la faiblesse de l'Etat au Moyen-Orient est que l'allégeance primordiale va au "groupe de solidarité" (açabiyya), un réseau fondé, quelle qu'en soit la base sociologique, sur des relations familiales et personnelles. Ces groupes de solidarité s'engagent soit dans une stratégie nationale de contrôle de l'Etat, soit au contraire se délocalisent et s'internationalisent dans le cadre des diasporas qui créent des réseaux transnationaux. Les groupes de solidarité ne sont pas l'expression de la permanence d'une société traditionnelle dans un Etat moderne, mais une recomposition de réseaux d'allégeances dans un espace politique et territorial définitivement modifié par le fait de l'Etat.
La recomposition peut se marquer par la territorialisation et la communautarisation de groupes infra-ethniques en compétition pour le pouvoir (Koulabis du Tadjikistan) ou bien par la délocalisation de réseaux de pouvoir qui s'effacent en apparence derrière leur objet, le pouvoir d'Etat (la faction de Samarcande en Ouzbékistan) ou bien au contraire par le branchement du groupe de solidarité sur un réseau international (aide humanitaire). Ces formes de recomposition affaiblissent non pas l'Etat, cadre de toute inscription dans l'espace politique, mais le passage à l'Etat ethnique, qui ne fonctionne que lorsqu'il est construit par en haut : l'Ouzbékistan existe, pas le Baloutchistan